Amélanche

Sous un soleil qui commence sa lente descente, inondant le décor de lueurs chaudes, nous ouvrons la porte de bois qui mène à l’étrange plantation entièrement recouverte de textile blanc. L’intérieur est chaud et humide, rempli d’une lumière blanche et pure, à la fois tamisée et aveuglante. Nous nous sentons seuls au monde, perdus dans une bulle lumineuse et fragrante. Devant nous se dressent des centaines de petits arbres recouverts de délicieuses billes allant du fuchsia au violet, en passant par toutes les nuances de rose, de mauve et de bleu.

Le maraîcher André Côté nous accueille et nous invite à découvrir sa ferme du même nom, située à Saint-Pauld’Abbotsford. Depuis 1972, il pratique une agriculture durable pour offrir une vaste gamme de fruits et de légumes en autocueillette, en plus de produits du terroir cuisinés sur place. L’homme aux yeux pétillants et remplis de fierté nous dévoile son amélancheraie, une plantation de quelque 500 plants. Il s’évertue à les tailler lui-même annuellement depuis plus d’une vingtaine d’années. Son fils lui avait rapporté quelques plants d’une visite dans les Prairies canadiennes, et ce qui n’était au départ qu’un simple test est vite devenu une culture signature de la ferme. Offrant l’autocueillette d’amélanches depuis le tout début, M. Côté s’est donné pour mission de valoriser ce petit fruit rustique méconnu, pourtant délicieux et rempli de bonnes choses. Aujourd’hui, il y a des amateurs qui reviennent le cueillir année après année, en plus des curieux qui prolongent leur visite pour le découvrir.

LES PETITS FRUITS OUBLIÉS

Dans les années 1960, le Québec a commencé à voir apparaître des plantations dédiées à la culture intensive de petits fruits, en plus d’usines de transformation et de congélation. La cueillette de baies sauvages indigènes est lentement tombée dans l’oubli tandis que les étalages se remplissaient de fraises, de framboises et de bleuets. Il était alors plus facile et pratique de s’approvisionner en épicerie que d’aller cueillir dans les champs et les forêts. Malgré son énorme potentiel gastronomique, esthétique et – par le fait même – commercial, l’amélanchier est encore aujourd’hui sous-exploité, éclipsé par des petits fruits plus courants. Mais le délicieux oublié revient peu à peu sur les tablées québécoises grâce au regain de popularité des haies gourmandes ainsi qu’à l’intérêt accru pour les plantes sauvages comestibles et la cuisine boréale.

Véritable trésor du terroir, le fruit de l’amélanchier compte parmi les petits fruits nordiques qui ont laissé la plus grande empreinte dans l’histoire du Canada. La ville de Saskatoon doit notamment son appellation à la petite baie, dont le nom est dérivé du cri missask-too-min qui signifie « tapis de fleurs ». Les peuples autochtones de l’ouest de l’Ontario jusqu’en Colombie-Britannique et au Yukon ont longtemps trouvé en elle une importante source de nourriture. Pendant des mois, ils profitaient des baies séchées au soleil, l’un des ingrédients clés du pemmican. Ce mets nourrissant est composé de fruits séchés, de viande et de gras, et les peuples pouvaient facilement le transporter au fil des migrations guidées par la chasse.

L’amélanchier a graduellement été introduit au Québec, surtout planté par les villes pour ses caractéristiques ornementales, afin de constituer des haies coupe-vent et d’attirer des oiseaux. De nos jours, on trouve plusieurs cultivars d’amélanchier d’un bout à l’autre du territoire québécois. Apprécié pour sa facilité d’entretien et ses couleurs élégantes tant au printemps qu’à l’automne, il pousse dans divers environnements, allant des bords de lac à l’orée des bois, en passant par la ville.

LA CUEILLETTE

Originaire d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Europe, l’amélanchier est un arbuste appartenant à la famille des rosacées, comme les rosiers et les pommiers, qui peut atteindre de 5 à 10 mètres de hauteur. Il se couvre de milliers de petites fleurs blanches en forme d’étoiles au printemps, puis de délicieux fruits une fois l’été venu – un délice éphémère qui ne dure que trois semaines environ. Dès la fin de juin ou le début de juillet, selon la région, les oiseaux se ruent vers les amélanchiers et se révèlent de véritables adversaires pour les cueilleurs. C’est pourquoi beaucoup choisissent de couvrir leurs arbres avant la fructification. On cueille les fruits lorsqu’ils sont bien gros et juteux, de couleur bleu foncé allant à pourpre, et se détachent facilement. À la cueillette, on se retrouve vite les doigts tachés de mauve – trahissant le fort pouvoir antioxydant de la petite baie.

Chez le Maraîcher André Côté, on retrouve deux variétés à production abondante : le Northline Saskatoon et le Smokey Saskatoon. Alors que le premier cultivar produit de gros fruits en grappes qui mûrissent en même temps, le second se couvre de baies de plus petite taille qui se démarquent par leur goût plus doux et moins acidulé.

DANS LA CUISINE

L’amélanche, aussi appelée « petite poire sauvage », a tout pour plaire. Son goût naturellement sucré et agréablement terreux se rapproche beaucoup de celui du bleuet, avec des rappels de pomme et des notes franches de cerise et d’amande. Congelées, les petites baies peuvent être dégustées toute l’année durant. On peut les manger fraîches et crues, mais elles développent leurs pleines saveurs avec la cuisson. C’est pourquoi l’amélanche est si populaire en confitures et en gelées, mais aussi dans tous les desserts, allant des gaufres aux tartes, en passant par les clafoutis. En sauce, elle agrémente parfaitement la volaille, la viande rouge, le foie et le gibier. En sirop, elle ajoute une touche de couleur et de saveur aux cocktails.

Mais son potentiel n’est pas que gastronomique. En effet, le fruit de l’amélanchier est riche en vitamines, en minéraux, en fibres et en antioxydants. Bon pour la santé oculaire et cardiovasculaire, il aiderait aussi à conserver les facultés mentales et à préserver la mémoire.

C’est à se demander comment un petit fruit aussi goûteux et nutritif a pu tomber dans l’oubli il y a quelques décennies. Mais heureusement, l’amélanche fait un retour en force tant en culture qu’en cueillette. Aujourd’hui, pour l’apprivoiser, nous avons cueilli à nous en tacher les doigts et fait craquer des dizaines de petits fruits dodus sous nos dents pour en distinguer toutes les étonnantes notes de dégustation, une baie à la fois.


Texte : Ariane Bilodeau

Photos : Mathieu Lachapelle