Bananahús

LES BANANES D'ISLANDE

Hveragerði. En traversant en voiture cette ville du sud de l’Islande, on ne peut s’empêcher d’admirer le paysage en toile de fond qui s’étend jusqu’à l’autoroute. Alors qu’un panorama spectaculaire typiquement islandais se dessine sous nos yeux avec ses caractéristiques flancs de montagnes vert intense, couronnées d’impressionnants nuages bas qui avalent leur cime, un élément supplémentaire s’ajoute au tableau : une dense fumée blanche qui s’élève doucement du sol vers le ciel. Hveragerði est un foyer d’activité géothermique situé au sommet d’un champ de lave âgé de 5 000 ans. C’est pour cela que la ville abrite un grand nombre de sources chaudes ouvertes à la baignade, des puits qui fournissent la majorité de la population de Reykjavik en eau chaude, mais également… une bananeraie!

À l’extérieur d’une rangée de serres, je suis accueillie par Elias Óskarsson, gestionnaire de la plantation ainsi que du centre de recherche de l’Université agricole d’Islande. Il me convie à entrer dans la plus ancienne des serres, également la plus rustique en apparence. L’écriteau sur la porte indique : Bananahús. Changement subit de climat : je passe des 10 °C de l’été islandais à un milieu humide et tropical que je ne m’attendais certainement pas à trouver dans ce pays. Devant moi se trouve ce que certains ont appelé la plus grande bananeraie d’Europe. C’est peut-être vrai, mais le fait est qu’il s’agit surtout de l’unique bananeraie du continent!

Elias m’explique que cette serre a été construite au début des années 40 alors que les Islandais avaient réalisé qu’ils pouvaient utiliser la chaleur géothermique pour alimenter des serres et potentiellement cultiver des fruits et des légumes de façon entièrement carboneutre. Ce projet a lancé une série d’expériences, le plus connu étant celui de cette bananeraie. Elle est alimentée par un puits géothermique qui propulse de la vapeur d’eau très chaude directement dans la serre au moyen d’un système de tuyaux qui parcourt l’intérieur du bâtiment. Elias me met en garde de ne pas toucher les tuyaux : ils peuvent parfois atteindre jusqu’à près de 90 °C lorsque le chauffage fonctionne à plein régime.

Elias m’invite à faire une promenade dans ce qui m’apparaît comme une forêt tropicale, et j’oublie rapidement que je me trouve sur une petite île de l’Atlantique Nord. Ce sont majoritairement des bananiers qui y poussent, mais on y trouve aussi des figuiers, des caféiers, des orangers de Sicile et une variété d’autres plantes qui ont été ajoutées au fil du temps. Mon guide m’explique que nous venons tout juste de manquer la principale récolte de bananes; elles sont cueillies au printemps lorsqu’elles arrivent à maturité. Lors d’une année ordinaire, cette serre produit environ 1 000 kg de bananes. Elles ne sont pas destinées au commerce, étant donné que la récolte est plutôt maigre, mais elles sont plutôt redistribuées aux étudiants de l’Université agricole.

Beaucoup de touristes entretiennent l’idée reçue que l’Islande est autosuffisante en bananes. Les Islandais cultivent effectivement avec succès les tomates, les poivrons et les concombres dans des serres, mais les bananes ne se sont pas avérées être le succès commercial escompté.

L’expérience de la culture de bananes en Islande n’a commencé qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parfois impossible, l’importation de fruits coûtait très cher. Les Islandais ont alors eu l’idée d’en cultiver localement pour fournir la population. Avec cette abondance de chaleur géothermique qui compense le climat froid de l’extérieur, ils ont pu reproduire artificiellement l’environnement adéquat pour la culture de la banane.

La serre de Hveragerði est devenue la première et l’unique bananeraie au pays et, durant environ trois années, la population a pu s’y approvisionner. Malheureusement, le projet n’a jamais vraiment fonctionné. Les responsables ont vite réalisé que, étant donné les hivers sombres, il fallait 18 mois à un bananier pour produire des fruits mûrs, soit 3 fois plus de temps que les plantations plus méridionales. Et, avec des restrictions à l’importation allégées, ce projet ne pouvait simplement pas rivaliser avec les bananes importées et a été abandonné en 1948.

Cependant, les bananiers et la serre sont restés, et l’Université s’en est très bien occupée depuis. Aujourd’hui, davantage de serres géothermiques chauffées ont été construites autour de la serre originale et abritent un centre de recherche sur l’éclairage artificiel. Compte tenu de ses longues nuits sombres en hiver, l’Islande possède les dispositions idéales pour étudier la meilleure façon d’éclairer les végétaux dans les serres en vue d’une croissance optimale. Elles sont remplies de tomates, de poivrons et de courges d’hiver qui servent tous à connaître la façon la plus efficace de cultiver chaque plante pour aider les agriculteurs partout dans le monde à maximiser leurs cultures.

Même si la culture commerciale des bananes en Islande remonte à 70 ans, l’affaire pourrait prendre une tournure plus complexe. Partout sur la planète, les plantations sont aux prises avec la maladie de Panama, une infection qui ravage les bananiers et décime les plantations les unes après les autres. Historiquement, il existait de nombreuses variétés de bananes différentes, mais aujourd’hui, une seule est cultivée à grande échelle : la banane Cavendish.

Cette variété a longtemps été résistante à la maladie de Panama, mais depuis le début des années 2000, les bananeraies commerciales ont également été infectées. Il est de plus en plus à craindre que, dans un futur pas si lointain, les bananes deviennent rares.

Cette situation pourrait placer l’Islande dans une position avantageuse. Elias me relate la surprise des visiteurs venant de bananeraies d’ailleurs dans le monde; ils affirment que ce sont les bananiers les plus sains qu’ils ont jamais vus. Les chercheurs mettent les bouchées doubles pour trouver une souche de bananiers immunisée contre la maladie de Panama, mais si leurs démarches n’aboutissent pas, étant donné son isolement géographique, l’Islande pourrait une fois encore se retrouver dans une situation idéale pour poursuivre la culture de bananes.


Texte : Steffi Gunnarsdottir

Photos : Ása Steinars

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