Jardin de Métis

Cette façon, la sienne, de me raconter les histoires de sa famille, de me donner le goût de sauter dans les flaques d’eau en pouffant de rire, de m’émouvoir avec sa poésie, de rendre mon coeur léger comme l’été quand je le regarde. Grand-Métis est une âme soeur, un beau gaillard du Bas-du-Fleuve au sourire ravageur.

Ce qui fait le charme de ce village, ce sont les Jardins de Métis, un lieu qui célèbre la nature, la beauté, la création, la folie douce. Quand je m’y rends, le temps s’arrête, je deviens libre comme un chien qui court à toute vitesse dans un champ sans regarder en arrière.

Il y a plusieurs sentiers. Certains mènent aux jardins historiques, d’autres à la villa Estevan, au potager ou aux jardins contemporains. Lequel prendre? Je me laisse guider par les couleurs, la lumière, les odeurs, ma vérité du moment. Peu importe où j’aboutis, c’est beau. Je remplis mon appareil photo.

L’ESPRIT DES LIEUX

Les Jardins de Métis ont été fondés il y a un peu plus de 90 ans par une philanthrope audacieuse et passionnée : Elsie Reford (née Meighen à Perth, Ontario, en 1872). J’aurais aimé la connaître.

Elsie grandit dans une famille bourgeoise montréalaise qui passe tous ses étés à Grand-Métis, à la villa Estevan, un camp de pêche, pour fuir la canicule et savourer l’air salin.

Cette femme est brillante et sait faire beaucoup de choses. Elle aime entre autres pêcher le saumon sur la rivière Mitis. Pas question de faire la coquette ou le piquet sur la rive. En 1918, son oncle, lord Mount Stephen, lui lègue la propriété. Au cours de l’été 1926, à 54 ans, Elsie décide de transformer le terrain en jardins. Elle consacre les 30 derniers étés de sa vie à ce projet. Elle parvient à implanter dans ce lieu au climat rude et venteux des plantes rares comme le pavot bleu de l’Himalaya.

Les jardins d’Elsie sont toujours en place : l’allée royale, le jardin des pavots bleus, le jardin des azalées, le jardin du ruisseau, le potager. Alexander Reford, directeur des Jardins de Métis depuis 24 ans, poursuit l’oeuvre de son arrière-grand-mère : « C’est un projet à multiples facettes. Nous sommes bien ancrés dans l’histoire, sans être nostalgiques, et nous sommes ouverts à la créativité, à l’innovation. Cette mixité nous rend uniques. Nous faisons voir le paysage différemment, par les jardins et par la cuisine de notre chef. »

PLAYSAGES

Le Festival international de jardins propose des jardins contemporains surprenants créés par des artistes, paysagistes, architectes, aménagistes de partout sur le globe. « C’est la convocation annuelle de la créativité », dit Alexander Reford. Il ajoute : « Cette année, le thème est playsages. On a voulu offrir des lieux de découverte de la nature magiques, colorés, interactifs. Je suis content lorsque je vois des jeunes courir dans les jardins, découvrir des oeuvres et sourire ».

Dans cet espace inusité, chacun imagine son scénario… Entrer dans un jardin de bandes verticales multicolores qui battent au vent et se mettre dans la peau d’un insecte qui marche dans le gazon. Sauter, courir dans l’eau avec des bottes de pluie et se rappeler les trous d’eau interdits de la cour d’école. Faire rouler un arbre sur des rails et se faire croire qu’on a la force de Louis Cyr. Entrer dans une cabane à toit ouvert qui abrite un grand arbre et se sentir comme un gnome. Marcher dans un jardin-tunnel de bois un peu psychédélique avec vue sur le fleuve, s’imaginer être dans une vidéo de Michel Gondry. Jouer dans le wagon de métro station Grand-Métis avec mon fils et croire autant que lui que nous fonçons vers un monde de dragons qui mangent des fleurs et qui pètent. Tout est possible dans cette galerie d’art à ciel ouvert. Ça fait un bien fou!

MANGER LE PAYSAGE

Pour l’équipe des Jardins de Métis, il va de soi que la découverte des plantes et des fleurs se fasse aussi à table. Ça fait partie des valeurs. Le chef Pierre-Olivier Ferry développe ses menus du restaurant de la villa Estevan à partir de la collection horticole des jardins : « Plus de 200 végétaux comestibles ont été identifiés. Ils peuvent être situés dans le potager, dans le jardin linéaire, dans le jardin du ruisseau, on en trouve un peu partout. Je passe souvent du temps avec les jardiniers. Ils apportent leur vision. On va dans les serres, on observe, on goûte. Je lis aussi de vieux livres de cuisine. Contrairement à ce qu’on peut croire, ça fait très longtemps qu’on consomme des fleurs. »

Le chef Ferry pratique une cuisine nordique inventive. Lichen frit, herbes et tataki de boeuf. Crevettes nordiques avec tomate, chip de crevettes et érythrone. Oursin, beurre noisette, allium, chicharron. Sorbet de persil de mer et fraises des champs dans le sirop de rose sauvage. Petit chou farci d’une crème au géranium. Sorbet de cerise à grappes servi avec bonbon d’épinette et pomme. À chaque bouchée, on redécouvre la valeur inestimable du paysage, de la nature.

La cuillère de floraison est la mise en bouche emblématique du restaurant. C’est un poème gourmand. J’aime écouter le chef en parler : « Ça prend de 12 à 15 fleurs comestibles pour la créer. C’est le goût du jour du jardin. On débute avec une baie : groseille, cassis, gadelle, bleuet ou framboise. Ça apporte du liquide. Ça fait office de vinaigrette. Il faut toujours une fleur acidulée : bégonia, oseille, oxalis, pour amener une acidité. Ensuite on complète avec ce qui est disponible : capucine, pensée, hémérocalle, malvia. On termine avec des petites fleurs entières : myosotis, guillon, fleur de roquette, tagète. Peu importe ce qu’on fait, c’est beau, parce qu’on met de la beauté par-dessus de la beauté. Il faut prendre le temps de bien mastiquer les fleurs pour briser leurs fibres. Plus les fibres sont brisées, plus les fleurs goûtent. »

Je reviens chaque fois à la maison avec le goût d’apprendre à manger mes plates-bandes. Je vois les fleurs des champs et de bord de route différemment. Grand-Métis, tu m’enchantes.


Texte

Mélanie Gagné

Photos

Mathieu Lachapelle

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