Le bonheur dans un fromage

Dinette X Fromage d’ici

Imaginez un archipel au beau milieu du golfe du Saint-Laurent. Sept îles, reliées entre elles par une longue dune, et sur lesquelles on retrouve des maisons en bardeau rose, jaune, vert et bleu. Imaginez des grottes en pierres rougeâtres, des centaines de buttes verdoyantes, des falaises vertigineuses et un port qui abrite une variété de petits bateaux de pêcheurs. Partout où vous regardez, l’horizon s’étend au bout de l’océan jusqu’à disparaître de votre vue. Imaginez maintenant, parsemés sur le territoire, de grands pâturages d’herbe sauvage et quelques dizaines de vaches canadiennes, contemplatives et sereines. Vous êtes aux Îles-de-la-Madeleine, paradis venteux et salin où l’on vous fait découvrir, en partenariat avec Fromages d’ici, la fromagerie artisanale Pied-de-Vent.

Le nom de cette fromagerie est aussi poétique que les lieux qui l’entourent. On appelle pied de vent les rayons de soleil qui traversent les nuages en faisceaux et qui viennent frapper la terre (ou dans ce cas-ci, la mer). Renée Landry et Dominique Arseneau racontent leur histoire avec générosité et ne se privent pas de métaphores pour décrire leur magnifique espace. Les deux artisans sont patients, accueillants et fiers, à l’image des humains qui peuplent depuis toujours ces îles particulières.

La ferme est constituée d’une trentaine de champs – dispersés sur trois îles – utilisés pour le pâturage des bêtes et la production fourragère. Soixante vaches canadiennes, une race qui produit peu, mais dont le lait offre une superbe qualité fromagère, broutent sans relâche dans les prés et sur les buttons rocheux de 8 h à 16 h et de mai à octobre. Au menu, blés sauvages, mil, chiendent et trèfle; des plantes protéinées qui favorisent la production laitière. Curiosité, il pousse aux îles beaucoup de carvi sauvage qui, une fois avalé par les vaches, aromatise subtilement le goût du lait. À l’instar du carvi, le sel marin déposé par le vent sur les herbes vient lui aussi teinter le lait – puis le fromage – de magie madelinienne.

Il n’y a pas que les herbes sauvages et l’air salin qui confèrent un goût spécifique aux fromages du Pied-de- Vent. Le bonheur, sous toutes ses formes, demeure l’ingrédient secret le mieux gardé des fromagers insulaires. « Tu devrais voir les vaches partir dans le sentier en direction du petit boisé! Ça pèse une tonne et ça gambade! Je te jure, elles ont vraiment l’air heureuses. » Mais est-ce que le bonheur d’une vache se goûte vraiment dans un fromage? Selon Renée Landry, assurément. La beauté du paysage, la diversité alimentaire, l’exercice, le grand air, la relation humain-animal : ces facteurs contribuent très certainement à l’élaboration d’un produit de qualité supérieure. Au Pied-de-Vent, le bonheur des artisans fromagers se goûte aussi. C’est bien connu, les Îles-de-la-Madeleine sont entourées d’immensité et sont reliées entre elles par la fibre solidaire. « Sur une île, on ne peut pas faire nos difficiles. On fait avec ce qu’on a et on s’entraide. » Cette entraide se fait très présente à la fromagerie. 80 % des terres utilisées pour la production de fourrage – la nourriture hivernale des vaches – n’appartiennent pas à Renée et à Dominique. « On fait du troc! On nous prête des terres en échange de fromage ou de viande. Sans nos voisins, on n’aurait jamais assez de foin pour nourrir nos vaches. » Et les répercussions positives de ces échanges entre voisins vont bien plus loin que ça. Lorsqu’on prête une terre agricole à un producteur qui la valorise, on participe par le même fait à la protection du territoire. L’opinion de Dominique est claire sur le sujet. Les quelques producteurs présents aux Îles protègent les zones vertes contre le développement immobilier (entre autres) et entretiennent la beauté des paysages.

La fromagerie Pied-de-Vent ne se réduit pas seulement à une histoire de vaches libres, de paysages à couper le souffle et de solidarité. On y découvre aussi un lieu rempli de savoir-faire. Depuis 1997, Dominique et Renée – lui dans les champs, elle dans la fromagerie – appliquent leurs connaissances respectives à l’élaboration de produits extraordinaires. Ici, les traditions fromagères de la Haute-Savoie se mélangent à l’histoire culinaire madelinienne. Et tous ces savoirs, pour nos deux artisans, il est crucial de les partager. En plus de pouvoir visiter l’Économusée et la boutique du Pied-de-Vent pour y acheter fromages, pains, viandes et breuvages, le public a également le privilège de participer à l’une des nombreuses visites guidées organisées par la ferme en saison. « L’enseignement, ça fait partie de notre mission. C’est important que les clients comprennent toutes les étapes de la production d’un fromage artisanal et qu’ils voient l’environnement dans lequel on évolue. On est une entreprise à échelle humaine! Le côté humain, ça fait partie de nous.

Imaginez sortir de la fromagerie et emprunter un joli sentier qui longe un pâturage. D’un côté, des vaches heureuses. De l’autre, la mer, calme. Au bout du chemin, une table à pique-nique sur laquelle vous déposez votre sac rempli de produits locaux. Votre visite aux Îles-de-la-Madeleine tire à sa fin, mais vous êtes sur le point d’éveiller tous vos sens à la beauté des lieux et de faire le plein de souvenirs indélébiles. Vous dégustez, sur un bout de baguette, une tranche de saucisson de loup marin, un morceau de hareng fumé et une pointe de Tomme des Demoiselles. Puis, vous avalez une gorgée d’Écume, la pilsner dorée de la brasserie À l’abri de la tempête. Tout ceci est d’une cohérence extraordinaire. Cette expérience multisensorielle vous permet de capter toute la beauté du terroir madelinien. Au loin, les rayons du soleil transpercent les nuages et s’étendent en faisceaux vers la surface de la mer. Ébloui, vous souriez et vous comprenez que vous faites l’expérience, le temps d’un pied de vent, d’un moment de grâce dont vous vous souviendrez longtemps.


Texte Elisabeth Cardin

Photos Isaac LeBlanc et Marie-Christine LeBlanc