Manger un nuage

L’ÉVANESCENT SOUFFLÉ

Léger comme un nuage, le soufflé est une spécialité française qui monte, qui monte, qui monte. Elle est aussi simple à préparer qu’extrêmement complexe à exécuter. Même si l’on a l’habitude d’en composer, le soufflé reste toujours un mystère plein de surprises. Qui sait si, au moment du service, il sera présentable?

Il y a des plats qui relèvent du spectacle. C’est indéniablement le cas du soufflé, défi de tout passionné de cuisine désireux d’épater ses convives. D’ailleurs, ne dit-on pas que l’on est soufflé par quelque chose?! Ce joli petit ballon, qui pourrait presque s’envoler, ou au contraire s’anéantir nous laissant tout déconfits, souffle au four de manière spectaculaire. Il se doit d’être servi le plus rapidement possible, au point que l’on s’y brûlera un tantinet les lèvres, tout excités à l’idée de le déguster sous sa forme la plus aérienne.

Il peut être salé, au fromage par exemple (avec un bon comté d’un peu d’âge ou un délicieux gruyère bien laiteux), mais aussi sucré (au chocolat, à la vanille ou au citron par exemple). Dans tous les cas, il restera un incontournable de gourmandise et de réconfort.

Il faut bien le dire, le soufflé est un véritable moment d’enchantement, de rires et d’amusement. En somme, un jeu de petits et de grands. On s’épate autant que l’on veut épater l’autre. On se fixe l’objectif de réussir l’une des recettes les plus compliquées et paradoxalement les plus simples du patrimoine culinaire français. Mais comment et pourquoi ce petit coussin délicieux fait-il autant tourner les têtes? Celles du cuisinier professionnel comme de l’amateur et celles des convives?

La liste des ingrédients est pourtant enfantine : du lait, des œufs, du beurre et de la farine. S’y ajoutent les ingrédients qui le parfumeront, et puis du sucre ou du sel en fonction de l’orientation choisie. Des moules plus hauts que larges, et quelques petits tours de main. Mais ne vous y trompez pas, il y a tout de même débat quand l’on s’attaque à ce délicieux défi que certains petits malins vous décriront comme élémentaire. Il ne faudra leur accorder du crédit qu’une fois qu’ils vous auront servi leur soufflé et que vous aurez le plaisir de le voir de vos propres yeux. Sinon c’est sujet à caution de vantardise. Des ingrédients que toute bonne cuisine se doit d’avoir à disposition donc. On sépare les blancs des jaunes. On bat les premiers, ni trop ni pas assez. Amusez-vous déjà de cette nuance! Certains vous diront de faire une crème pâtissière ou un roux, d’autres simplifient la méthode. On s’accorde, mais pas toujours. Bref! Il faut se lancer, choisir une recette. Celle de famille, d’un grand chef, d’un ami. Vous aurez sûrement droit à une anecdote. Les invités sur le point d’arriver, finalement en retard. La maudite fois où il n’est pas monté et où il n’y avait pas de plan de secours, etc. Il faudra vous attacher à faire monter cette préparation légère, qui ne doit être ni trop mélangée, au risque de faire tomber les blancs, ni pas assez amalgamée, au risque de ne pas avoir de belle envolée. On beurre les moules avec amour, patiemment, les yeux rivés sur le pinceau. De bas en haut, on badigeonne le beurre pommade en espérant que ces gestes conduiront le soufflé droit au ciel. Jusque-là, tout va bien. Quoi que, ces blancs, sont-ils suffisamment montés?!

On remplit ses moules, à demi, aux trois quarts, à ras bord. (On aura vu les trois prescriptions.) Et on enfourne. À mi-hauteur, directement sur une plaque bien chaude tout en bas du four, avec de l’eau pour un effet bain-marie, ou bien encore sur une grille. Le secret me souffle-t-on? Former une croûte. Avec le grill donc? Ah! Déjà on ne sait plus à quel saint se vouer.

Mais, dans cette quête mythique, exalté, prêt à en découdre avec des générations de cuisiniers désabusés, on est plein d’espoir : il montera!

C’est le moment qui fait frémir, car une fois les décisions prises, une fois la porte du four fermée, on ne peut plus que regarder à travers la vitre transparente son soufflé. On compte les minutes de ce marathon gourmand. Il ne monte pas de suite, et déjà on s’angoisse. Quelle pâle figure que de servir un soufflé raté! Tout le monde l’attend, car il faut être à table en guettant son arrivée, bien évidemment. Les retardataires ne sont pas acceptés. L’excitation monte en cuisine comme à table. On trépigne, on attend la divine ascension du petit soufflé replet. On invoque ses ancêtres ou l’esprit d’Antonin Carême, « le roi des chefs et le chef des rois ». Et tout d’un coup, il monte. Un peu, puis de plus en plus. Ah! On est soulagé. Il est digne d’être appelé soufflé. Mais ne nous emballons pas. Jusqu’où ira-t-il? Dépassera-t-il à peine le bord du moule, mi-figue mi-raisin? Ou sera-t-il fier comme pas deux, défiant impérieusement les lois de la pesanteur culinaire comme il se doit de le faire? Que d’effervescence et d’enthousiasme!

On le transporte précieusement, moment exaltant et cruellement éphémère, envoûté par les effluves gourmands fromagers ou chocolatés qui s’en échappent. Les yeux rivés sur sa fragile construction, on redoute la chute inévitable. Le cuisinier est auréolé d’un prestige tout français, et viendra plus tard le moment des félicitations. Pour l’heure : on plonge la cuillère et on déguste. Et quel moment délicieusement régressif! Que de gourmandise! Que de raffinement! C’est léger à souhait. On badine, on s’émerveille de la « croûte » et de la sensation divine et aérienne. On se dépêche, on se brûle un peu, on le commente. On rit. C’est un plaisir enfantin. Le soufflé est là. Il est mythique, il nous presse, et déjà il disparaît. Tel un zéphyr.


Texte et photos : Renards Gourmets

Éloïse Côté