Unamen Shipu
En posant les pieds sur l’île Apinipehekat, à l’est d’Unamen Shipu sur la Basse-Côte-Nord, le son de mes pas me fascine. Le lichen crépite en alternance avec la camarine noire et le thé du Labrador. Le sol est si spongieux par endroits que l’on croirait marcher sur un lit d’eau. Ce territoire m’est inconnu. Ce territoire m’attire au plus haut point.
Unamen Shipu est une communauté innue de 1 600 âmes à 58 kilomètres à l’est de Kegaska, où la route 138 s’arrête. En hiver, on peut s’y rendre en motoneige par la Route blanche reliant Kegaska à Blanc-Sablon. L’été, par contre, il faut y aller en avion ou emprunter le navire Bella Desgagnés qui approvisionne de nombreux villages sur la Basse-Côte-Nord.
LA FORCE DE L’ISOLEMENT
Depuis 10 000 ans, les Innus occupent, entre autres, les berges du golfe du Saint-Laurent selon un mode de vie semi-nomade. L’hiver, c’est la saison de la chasse. L’été se passe plutôt sur le bord de l’eau à pêcher et dans la forêt boréale à cueillir les petits fruits, comme la chicouté et les graines rouges.
L’absence de route a certainement isolé la plupart des communautés tout juste au nord du 50e parallèle. Cet isolement leur a aussi permis de préserver leurs traditions un peu plus longtemps que la plupart des communautés autochtones. Les habitants d’Unamen Shipu n’ont été sédentarisés qu’en 1956. Il faut savoir que les premières « réserves » ont été créées il y a plus d’un siècle.
RÉSISTANCE SILENCIEUSE
Une soixantaine d’années après la sédentarisation, la communauté est concentrée sur un petit territoire au bord de l’eau. Cette situation facilite l’accès aux denrées, au carburant – le village n’a pas d’électricité et fonctionne à l’aide de génératrices – et aux autres matériaux que le Bella Desgagnés apporte deux fois par semaine à l’aller et au retour de Blanc-Sablon. Le traversier transporte aussi des touristes curieux de découvrir la beauté extraordinaire des villages ornant la Basse-Côte-Nord.
LA SAGESSE INCARNÉE
Ici, nous avons tout à apprendre et à découvrir, à commencer par la faune et la flore. Dans quelques semaines, ce sera la saison des récoltes de petits fruits. Pour le moment, le sol est tapissé de petites fleurs blanches, des fleurs de chicouté, c’est magnifique!
Nous partons découvrir les environs en bateau, comme le sanctuaire des îles Sainte-Marie où cohabitent les macareux, les fous de Bassan et les sternes. Du haut du cap, la vue est imprenable sur le territoire. Nous avons l’impression d’être si loin, ailleurs complètement, tellement les paysages sont singuliers.
Au retour, nous rencontrons Anastasia et Joséphis Bellefleur, un couple d’aînés bien connus à Unamen Shipu. Mariés depuis 62 ans, ils ont tout vécu ensemble. Joséphis était d’ailleurs un excellent chasseur d’ours et de caribou. Anastasia l’avait bien remarqué! Encore aujourd’hui, ils sont unis et absolument charmants. Anastasia prépare la ban-nique et le feu sous lequel elle cuira son pain. Elle dépose la pâte sur les braises ardentes et la recouvre aussitôt. Le pain y cuit pendant une vingtaine de minutes sous le feu. Après quoi elle le sort et le gratte vigoureusement pour enlever la cendre. À ses côtés, Joséphis lui offre de prendre le relais.
Benoît et lui me parlent de l’état des caribous sur le territoire. « En ce moment, il ne faut pas chasser le caribou, affirme d’emblée Joséphis. Il y en a trop peu. » Il me raconte tout de même la fois où il a chassé 20 caribous avec son frère. Ils étaient loin dans le bois et ils devaient les ramener au village avant que les loups ne les trouvent. Depuis, le nombre des hordes de caribous a dramatiquement chuté. Et Joséphis n’est plus assez en forme pour chasser d’autres types de gibiers. « Je m’ennuie de chasser, confie-t-il. Mais je ne mange pas de viande de l’épicerie pour autant, parce que je ne sais ce qu’ont mangé ces animaux. Dans le bois, je sais exactement de quoi chaque animal se nourrit. »
Toutefois, une des traditions que Joséphis peut encore transmettre est le teuiekan, le tambour sacré. Mais dans la culture autochtone, ne joue pas du tambour qui veut. Les joueurs de tambour doivent y rêver trois fois avant de pouvoir en jouer. À Unamen Shipu, ils se font très rares. Les missionnaires leur interdisaient formellement d’en jouer. Pourtant, le tambour et les chants qui l’accompagnent font partie intégrante de nombreux rituels de naissance, de mariage et de décès.
Si de nombreuses traditions se sont effritées au fil de la sédentarisation, notre séjour apporte une lueur d’espoir pour la communauté. Faire vivre les traditions par le tourisme d’expérience est certainement une merveilleuse façon de les valoriser et de les faire renaître.
Texte
Catherine Lefebvre
Photos
Jad Haddad