Atelier Retailles

JEUX DE PAPIERS

C’est la mi-juin lorsque je parle pour la première fois à Sophie P-Voyer, la fondatrice d’Atelier Retailles, un atelier de fabrication artisanale de papiers, situé à Montréal. À quelques jours du déménagement de l’atelier et de l’expo-vente que Sophie a organisé pour l’occasion, l’excitation est palpable et, rapidement, les éclats de rire ponctuent la conversation. Je comprends vite que, chez Retailles, tout se fait dans le plaisir et l’envie de repousser sans cesse les limites d’un savoir-faire millénaire.

« J’ai terminé mon bac en arts à l’Université Concordia en 2016, raconte Sophie. J’avais le désir de continuer à travailler le papier et je ne trouvais nulle part où je pouvais le faire moi-même. L’atelier est né en 2018 d’une idée de démocratiser la fabrication du papier. » Depuis, tout s’est enchaîné rapidement : des designers de vêtements l’ont contactée sans tarder pour transformer leurs retailles de tissu en papier, des artistes sont passés à l’atelier pour suivre des formations ou créer des œuvres, des petites entreprises sont arrivées avec des projets hors norme… Et, au fond, Retailles, c’est un peu tout ça : un endroit où expérimenter, apprendre et utiliser de la matière pour donner le jour à de toutes nouvelles créations.

« Quand on voit une feuille, on pense à un rectangle plat. Moi, je la vois comme de la matière broyée, de la matière qui flotte, de la fibre qui s’étire. Quand une personne voit une feuille à plat, elle s’imagine qu’elle est fragile, mais le papier, c’est super résistant! », explique Sophie. Et c’est sans doute pourquoi elle n’hésite pas à essayer toutes sortes de projets différents. En mars 2020, par exemple, alors que le monde s’est mis sur pause, Sophie s’est retrouvée dans son atelier avec l’artiste Nicolas Lachance pour créer une série de 12 œuvres sur papier de 3 pieds sur 6 pieds, un format gigantesque dans l’univers du papier fait à la main. « C’était le chaos partout, mais je me sentais utile parce que j’avais un endroit où aller et un projet à faire. » Ironiquement inspirée par la peste noire, la série Danse macabre a ainsi été créée à même le sol de l’atelier. Chacune des feuilles a été moulée directement sur le plancher et a nécessité des manipulations techniques impressionnantes.

Cette crise a également été l’occasion pour Sophie de lancer #papierretailles, un projet éditorial sur abonnement qui lui a permis d’explorer encore davantage son médium. Dans chacune des enveloppes de l’abonnement, les amateurs de papier retrouvaient ainsi une série de 10 papiers créés spécifiquement pour l’initiative, portant sur un thème qui changeait chaque fois. Pour ce projet comme pour les autres qui passent par l’atelier, le papier prenait ici une toute nouvelle dimension : en plus de feuilles de 8 x 10 pouces, chaque enveloppe incluait au moins un papier spécial fait à partir d’une fibre surprise, une feuille avec des insertions funky et une feuille aux textures surprenantes. Un papyrus de carottes ? Une insertion d’écailles de cacao? Des papiers en teintes multiples ? Pourquoi pas! « C’était un projet bonbon pour moi parce qu’on jouait avec tout ça. Ça nous a sorties de la pandémie en nous gardant créatives. Et ça m’a permis de faire des affaires que je voulais faire depuis longtemps », raconte Sophie.

Puis, de février à avril 2021, Sophie a travaillé chaque vendredi avec l’artiste Marc-Olivier Lamothe à la création d’une série de 40 œuvres éclatées en pulpe de coton. « Marc Olivier a un univers super lumineux et coloré. Ça m’a amenée dans un univers différent du mien. J’ai appris beaucoup de ça et lui aussi. C’était vraiment une collaboration artistique 50/50, je n’étais pas là uniquement pour le côté technique », confie-t-elle. Le résultat a quelque chose de très organique. Des traces colorées témoignent des différentes pâtes de papier qui sont passées et invitent, par le fait même, à la réflexion sur le médium. « Il y a toujours beaucoup de gens qui gravitent autour de l’atelier. Je pensais que je ferais du papier pour moi, mais finalement, ça répond d’une façon surprenante à mon besoin de rencontrer d’autres artistes, de connaître mon médium. »

ACTE II : BOULEVARD SAINT-LAURENT

Je retrouve Sophie à la mi-juillet, dans son nouveau local du boulevard Saint-Laurent. Si le déménagement est derrière elle, l’aménagement des lieux n’est pas terminé au moment où nous nous rencontrons, mais déjà, l’ambiance de l’atelier est là : dans le local baigné de lumière naturelle, deux tables de travail se font face. Celles-ci sont surmontées de plateaux de tôle – « faits par mon grand-père! », précise Sophie – qui facilitent l’écoulement de l’eau nécessaire à la fabrication du papier. Au fond, la presse hydraulique vient d’être branchée. C’est elle qui permet d’écraser les feuilles pour en retirer l’excédent d’eau avant qu’elles passent au séchage. Cette dernière étape se passe à l’arrière du local, dans un espace fermé qui sert de salle de production, où se font toutes les étapes plus bruyantes. « Comme ça, on pourra travailler tranquillement à l’avant et recommencer à faire des ateliers, même si les machines fonctionnent! », explique Sophie.

Tout autour, on retrouve différentes retailles de tissu qui serviront à produire des papiers variés. J’apprends qu’il faut en moyenne 1 kilo de tissu sec pour produire 120 feuilles de 8 x 10 pouces. Les tissus doivent être en fibres naturelles, comme le coton ou le lin, pour pouvoir être utilisés dans la fabrication du papier. Les retailles de chacune des productions sont conservées et réutilisées pour fabriquer des papiers mélangés, 100 % uniques. « Je n’aime pas la récurrence, j’aime la nouveauté. En faisant du papier récupéré, c’est chaque fois une surprise! », m’avait dit Sophie en juin. Et dans son atelier, je vois bien ce qu’elle veut dire. Les feuilles qu’elle me montre sont toutes plus belles les unes que les autres et semblent toutes raconter une histoire. L’ouverture de ce nouvel espace est prévue pour l’automne, et déjà Sophie a des projets plein la tête : installer un espace d’accueil avec boutique à l’avant du local, organiser des ateliers pour des publics variés et, surtout, accueillir des gens. À suivre!


Texte : Catherine Ouellet-Cummings

Photos : Sylvie Li