Au coeur des nuages

Nous avions dans l’idée de faire la route des châteaux. C’était ambitieux : 763 km sur les chemins sinueux du Deutschland. Pour ajouter au challenge, une autre envie nous trottait derrière la tête : celle de capturer la brume. Cette mélasse dense et vaporeuse à la fois, est tel un simulacre qui se disperse sous nos yeux pour nous laisser découvrir, petit à petit, les trésors anciens qui peuplent les villes de la côte Est de l’Allemagne.

Les roues à peine réchauffées, nous étions déjà enveloppés dans l’étoffe éthérée qui signerait notre voyage. C’était irréel et terrifiant à la fois. Comme si nous étions soudainement à la merci de la nature. Comme si, d’un moment à l’autre, une gigantesque main allait apparaître dans l’épais nuage pour nous faire basculer dans un ravin. Sans vouloir défier les forces de l’air, nous avons continué notre route sans mots.

Le panorama se dévoilait avec lenteur, s’offrant timidement à nous sans jamais se découvrir complètement, révélant parfois la silhouette d’une montagne, d’une rivière. Voyageurs aguerris, nous n’en étions pas à nos premiers châteaux. C’est pourtant dans un esprit solennel que nous sommes descendus de la voiture pour admirer notre premier sujet perché au centre du village, tel un roi sur sa montagne. L’air était frais, empreint d’une odeur de miel et de pin. Le vent soufflait dans nos cheveux et nous gardait alertes malgré le manque de caféine.

Un sentiment d’humilité nous habitait tout au long de notre quête. Cette impression fantôme de ressentir toutes les âmes qui ont vécu en ces murs de pierre nous donnait envie d’écouter l’histoire que racontait chaque endroit. Plus loin sur la route, un autre château, camouflé par une armée d’épines fanées se faisait plus discret. Il dormait paisiblement dans sa clairière, là où il avait longtemps été sujet d’attaques et de fêtes mondaines. Il avait enfin trouvé repos, abandonné par ses anciens occupants. Les fortifications naturelles le protégeaient désormais des regards ingrats, offrant un calme désarmant aux chasseurs d’antiquités que nous étions. Nous avons fait les admirateurs discrets, puis nous sommes disparus sans laisser de traces, sans déroger à la beauté statique dont nous avions été témoins.

La route commençait à se faire longue, et sans le savoir, nous ne descendions pas vers le sud, comme nous l’imaginions. C’est lorsque nous sommes tombés nez à nez avec une barrière cotonneuse que nous nous sommes aperçus que nous nous étions plutôt engagés dans une ascension impromptue vers les Alpes. De la neige! Alors que l’on croyait que tout était fini, que le brouillard nous avait abandonnés, c’est à bout de souffle et couverts de flocons mouillés que nous avons atterri devant ce qui nous semblait être le bout du monde. Et face au néant qui s’ouvrait, nous étions seuls, immobiles et subjugués par l’immensité d’un château vêtu de brume enneigée. Le brouillard de ce moment précis, à l’apogée de notre quête, me paraît encore irréel à ce jour, comme s’il avait été créé juste pour nous.


Texte

Joliane Roy

Photo

Mathieu Lachapelle

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