Autonomie, cette nouvelle liberté

Cela peut paraître naïf, simplet, utopique, voire même légèrement paranoïaque. Mais si les temps de crise nous apprennent quelque chose, c’est bien à revoir notre façon de consommer, notre façon de vivre en impulsant quelques changements qui deviennent impératifs. Tandis que certaines denrées deviennent aussi rares que des diamants, nous nous rendons compte de notre dépendance. Il devient alors nécessaire de revenir à l’essentiel, au simple. Bref, à une forme d’autonomie. Loin des grandes villes, au plus proche de la nature, des voies alternatives sont possibles pour s’adapter à un futur qui se révèle incertain.

Alors, c’est décidé! Nous revenons aux gestes instinctifs, aux savoir-faire ancestraux, à la terre, à l’eau de source, aux échanges entre voisins, aux produits locaux, à la contemplation de ce qui nous entoure et que nous avions oublié. Un bout de terrain vierge où planter ses légumes, une maison à rénover... Nous nous inventons un nouveau monde, plus optimiste, où le bonheur et les trésors les plus simples se trouvent à portée de main.

La ville n’était pas faite pour nous. Nous avons pourtant essayé. Chaque fois, le résultat était le même : une légère sensation d’agoraphobie au milieu des foules, un désir de moins consommer et un manque indéniable de nature. Il était temps de prendre la décision qui allait changer notre vie à jamais. Au cœur de l’Auvergne, nous tombons amoureux de cette ancienne ferme à rénover, nichée entre d’infinies steppes et de douces collines, et de son immense terrain accolé à une rivière fabuleuse. Ce désir d’autonomie pourra se réaliser ici, sur ces terres généreuses, au cœur du sauvage. Et il se révélera libérateur.

Les premiers travaux nous permettent de vivre sur place, de prendre racine dans ce nouvel environnement à la fois rude et accueillant. Loin des villes, la nature est parfois hostile, la météo rigoureuse, et il était nécessaire d’isoler au plus vite notre abri douillet. Malgré les épais murs de pierres volcaniques, le froid à l’intérieur devenait mordant. Nous allumons tous les soirs un feu réconfortant dans la cheminée et gagnons peu à peu quelques degrés bienfaiteurs. Ce rituel m’apaise et me fait me sentir chez moi. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été attirée par les maisons fumantes dans lesquelles j’imaginais toujours la vie des gens, confortablement installés dans leur canapé moelleux, une tasse de thé brûlant à la main. Désormais, c’était à moi de vivre ce tableau imaginaire. Rentrer d’une journée de travaux dans un intérieur où rougeoie un feu de cheminée est sûrement l’une de mes plus grandes satisfactions. L’odeur boisée du feu allait devenir notre parfum quotidien.

Les deux sources d’eau ainsi que la rivière en contrebas sont les premières ressources naturelles dont nous profitons dès l’aménagement. Nous l’oublions vite, mais une eau potable qui jaillit directement de la terre, devant chez soi, est un véritable trésor. Toute autonomie est impossible dans un paysage asséché. La rénovation et notre quotidien fonctionnent grâce à cet or bleu que nous utilisons pour toutes les tâches. Plus tard, une fois l’installation terminée, elle devient l’élément essentiel du potager en permaculture.

Les agriculteurs du village nous fournissent foin et fumier pour nos buttes dans lesquelles nous plantons avec soin les premières graines de cette nouvelle vie. Comme des parents attentionnés, nous commençons toutes nos journées avec une visite du potager, une tasse de café fumant à la main et les bottes aux pieds. Nous découvrons avec émerveillement la croissance prodigieuse de nos enfants chéris. Les premières pousses et feuilles grandissent à vue d’œil, profitant de chaque rayon de soleil printanier pour y puiser la force nécessaire à leur épanouissement. Toutes nos journées finissent quant à elles par l’arrosage du jardin, plant par plant, sous la lumière dorée déclinante de l’été.

Ici, nous utilisons chaque présent de la nature pour vivre à son rythme. Le soleil et la légère brise de l’été sèchent naturellement le linge dans le pré. La pluie vient arroser nos légumes. Les branches mortes des arbres permettent de nourrir la cheminée insatiable. Le tilleul centenaire nous offre son ombre généreuse les jours de grosse chaleur. Les hautes herbes coupées servent à pailler les buttes du potager. Les vaches du voisin nous offrent leur lait pour la confection de yaourts, et la maison s’orne de bouquets de fleurs sauvages. Nous faisons corps avec ce qui nous entoure et nous accueillons chaque élément de la nature comme une offrande.

Enfin, le brut devient trésor. La plus simple des salades devient un délice. Plantée avec soin, arrosée à l’eau de source et chouchoutée durant sa croissance, notre salade nous apporte de la fierté avec ses larges feuilles vertes dont nous redécouvrons le goût avec un simple filet d’huile d’olive. Nous mangeons pour la première fois le fruit de notre travail et s’ensuit une farandole de surprises. Nos premiers haricots verts, nos premières courgettes et nos premières pommes de terre que nous récoltons en fouillant dans la terre. Les gants sont bannis, et nous prenons plaisir à plonger les doigts dans ce terreau naturel qui teinte nos mains d’un ocre merveilleux.

L’automne arrive et apporte de nouveaux diamants bruts que nous attendions impatiemment. Un panier à la main, nous partons récolter ce que la nature a à nous offrir en cette saison où les paysages s’empourprent : châtaignes, champignons, noisettes... Autant de ressources naturelles qui nous permettent de faire des réserves pour l’hiver. Le soir, face au feu, nos yaourts se nappent généreusement de crème de marron faite maison. Je crois que nous touchons du doigt une forme de bonheur. Quand les températures commencent à chuter sévèrement, il est l’heure de planter nos arbres fruitiers durant leur dormance. Nous creusons une nouvelle fois cette terre fertile pour y placer ces précieuses branches. Pour l’instant insignifiantes, ces boutures nous permettront pourtant d’être autonomes en pommes, en poires, en cerises, en coings, en noisettes ou en prunes. Je m’imagine déjà cueillir ces petits joyaux vitaminés.

Les premiers flocons de l’hiver viennent peu à peu se déposer sur les branches endormies des arbres. Puis, très vite, les paysages se couvrent d’une épaisse couche de neige qui rend ces décors beaucoup plus hostiles. La nature somnole et n’offre plus autant de denrées qu’à la belle saison. Tous les animaux hibernent dans leur tanière et nous les imitons. Quelques renards, au loin, sortent encore chercher les maigres proies pour survivre au froid. Le feu de cheminée devient notre meilleur allié. Les conserves faites cet automne nous permettent de profiter encore des châtaignes, des tomates et des autres trésors de l’été... jusqu’aux prochains beaux jours.

C’est vrai, tous les trésors ne sont pas dans des coffres. Si nous savons les reconnaître et les apprécier, ils nous entourent constamment, sous nos pieds ou à la cime des arbres, sous la forme d’un ruisseau cristallin ou d’un bolet rondelet.


Texte et photos : Julia Lafaille