Au rythme de la nature

Fondée en 1959 par son tout premier maire Fridolin Simard, la ville d’Estérel est située au cœur de la région des Pays d’en haut. Petite bourgade d’au plus quelques centaines d’habitants, principalement regroupés autour de trois lacs navigables, l’Estérel doit son charme à ses paysages boisés et authentiques, qui se dévoilent au fil de routes sinueuses. C’est là qu’Yves Provost et sa conjointe ont fait ériger leur résidence secondaire, une œuvre originale signée par l’architecte Paul Bernier.

On ne devrait pas s’étonner qu’un bâtiment aussi unique figure parmi les résidences de l’Estérel. Après tout, la région a une histoire architecturale particulière, amorcée dans les années 1930 par l’architecte belge Antoine Courtens qui y a construit plusieurs bâtiments de style Art déco, dont le centre commercial du Domaine-de-l’Estérel, classé immeuble patrimonial en 2014. Sans compter que le premier maire de la municipalité a lui aussi travaillé avec un architecte de renom, le montréalais Roger D’Astous, pour construire sa résidence dans les années 1950.

Et pourtant, le défi majeur de ce projet a été de le faire accepter par la municipalité qui s’est dotée, il y a quelques années, d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale plus restrictif, encadrant la création des nouveaux projets. « Nous avons eu de longues discussions pour faire accepter le bâtiment à la ville et nous avons dû faire quelques modifications sur le projet, notamment en optant pour un revêtement de cèdre pour l’extérieur, alors que les plans initiaux présentaient plutôt de l’acier », raconte l’architecte Paul Bernier, lors de notre rencontre à son bureau de Montréal. Mais le jeu en a valu la chandelle. La résidence campée sur le pourtour du lac Grenier se déploie dans l’environnement avec grâce et légèreté, dévoilant peu à peu ses particularités au fil de la visite.

La nature au premier plan

« Nous avons acheté le terrain il y a une quinzaine d’années, avec l’idée d’y construire un jour une maison contemporaine », raconte le propriétaire. Il a approché l’architecte en 2011, avec quelques lignes directrices, dont le désir de pouvoir entendre les clapotis du ruisseau qui traverse le terrain.

Dès le départ, il y avait une volonté d’intégration, de ne pas nuire à la forêt et de préserver le côté naturel du terrain.
— Paul Bernier

Ainsi, le bâtiment a été placé dans l’espace naturellement délimité entre le ruisseau au nord, et la colline boisée au sud, de façon à saisir la vue sur le lac, à l’endroit exact où le ruisseau s’y jette. « L’empreinte au sol du bâtiment est organique, comme s’il avait poussé là », ajoute Paul Bernier.

De la route, la résidence se dresse comme une palissade de cèdre, qui dissimule à la fois le garage et l’entrée principale. À l’intérieur, l’architecte a imaginé un module de bois aux avantages multiples : à la fois banc d’entrée et espace de rangement dissimulé, le module guide le regard vers l’intérieur tout en préservant l’intimité des chambres et des salles de bains situées de l’autre côté. On est alors attiré vers des espaces communs à aire ouverte où la nature vole la vedette grâce au mur complètement vitré face au sud. « Les ouvertures au sud permettent un chauffage passif en hiver, grâce à l’apport de lumière du soleil. L’été, les grands arbres feuillus protègent le bâtiment de la surchauffe », explique le concepteur.

Le coeur

Devant cette paroi qui s’ouvre sur la forêt, l’architecte a construit une cuisine articulée autour d’un îlot central en bois de hickory. Ici aussi, tout a été pensé pour maximiser le rangement, tout en désencombrant le décor. « Les gens cuisinent de plus en plus et, conséquemment, nous avons tendance à placer la cuisine dans un endroit stratégique de la maison », commente l’architecte. C’est effectivement le cas ici, pour le plus grand plaisir des propriétaires qui profitent du calme que leur offre la campagne pendant la fin de semaine pour préparer les repas de la semaine qu’ils rapportent avec eux en ville. « En ville, nous vivons rapidement et on finit par manquer de temps alors nous profitons de la fin de semaine pour cuisiner des bons plats. Aussi, nous aimons beaucoup recevoir, autant la famille que les amis, alors la cuisine est bien conçue pour tout ça », ajoute Yves Provost. L’îlot devient alors l’espace de rassemblement par excellence, facilitant la préparation des repas et les échanges entre les convives.

À quelques pas, la salle à manger où peuvent aisément s’asseoir confortablement huit personnes, jouxte le salon où un canapé dessiné par l’architecte invite à la détente. Au fond, la maison s’ouvre encore vers l’extérieur, grâce à l’ajout d’une véranda en porte-à-faux, qui surplombe le paysage. L’endroit, véritable coup de cœur des propriétaires, a été pensé pour servir en toute saison, bien que les murs soient simplement grillagés. « Il est possible d’ajouter des appareils de chauffage d’appoint pour profiter de l’extérieur plus tard dans la saison », commente Yves Provost et, bien que les propriétaires ne l’aient pas encore testé, il est facile de s’y imaginer en plein hiver, couverture sur les épaules et boisson chaude à la main, pour profiter de l’air pur et cristallin des journées froides. Cette pièce, encore plus que les autres peut-être, appelle à la contemplation, les yeux fixés sur le lac, le chant du ruisseau en sourdine.

Une cachette dans les airs

La visite se complète par le bureau, ou salle de lecture, situé en retrait, au deuxième étage. « La maison a un seul étage, ce qui laisse voir le panache des arbres. Il n’y a que la petite pièce carrée qui se dresse au-dessus, comme une cabane dans un arbre », explique l’architecte. La petite pièce, accessible par un escalier dissimulé derrière le module d’entrée, surplombe le toit vert où se côtoient plusieurs espèces de plantes sauvages. Au moment de la visite, les dernières fleurs violacées contrastaient avec la couleur paille des graminées, mais quelques semaines plus tôt, le propriétaire assure qu’elles étaient jaunes, comme quoi, dans ce paysage de campagne, tout tourne au rythme de la nature changeante.


Texte

Catherine Ouellet-Cummings

Photos

Vincent Brillant

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