Chasser les déserts

Il n’a pas plu depuis 116 jours ici et on annonce 47 degrés Celsius. On a pris la route tôt pour profiter de la fraîcheur du matin parce que le soleil devient quasi insupportable dès 10 h. On aperçoit de grands bacs d’eau placés aléatoirement partout aux abords de la chaussée. Ils servent uniquement à refroidir les radiateurs d’auto qui en arrachent dans cette chaleur cuisante. On ne voulait surtout pas risquer une panne avec la voiture louée, pas dans le désert et surtout pas sous un soleil de midi qui brûle le fond de la tête.

LE CALME PLAT

Les voitures se font rares dans les déserts de l’Ouest américain. Du moins, il n’y en a pas beaucoup à cette heure-ci, ni à cette période de l’année. On serpente en silence dans un tableau varié d’arches grandioses, de dunes à perte de vue, de formations rocheuses étranges érigées au beau milieu de nulle part et de cactus recouverts d’épines menaçantes. Le rétroviseur, nous renvoie les tons chauds du paysage qui passe du rouge, à l’orangé, au beige, au gris, le tout parsemé de plantes courtes sur pied qui arrivent à peine à pousser. Des buissons secs qui se sont détachés de leurs racines foulent le sol sur des kilomètres comme des ballons de brindilles séchées qu’on jurerait vivants.

CHOISIR L’AVENTURE

À part les tarentules qui s’agitent les pattes en bord de route, c’est plutôt tranquille. On y trouve quelques touristes stationnés aux points de vue identifiés par des affiches qui ne tiennent que par une vis rouillée. Leur air conditionné, qui donne l’impression d’essayer de refroidir le désert au grand complet, arrive à peine à garder au frais les ados blasés assis sur la banquette arrière qui attendent leurs parents. On les dépasse en les saluant de la main, car on préfère les endroits moins fréquentés : les bords de route qui laissent présager un sentier peu utilisé, des chemins non balisés, des passages entre deux cactus pour faire valser nos pieds sur un sol craqué. Sans surprise, on s’égratigne les chevilles sur les épines parce qu’on est trop occupés à tout immortaliser.

SCULPTÉ PAR LE TEMPS

Sous le niveau de la mer, dans les basses profondeurs du continent nord-américain, c’est souvent là qu’on trouve les créations géologiques les plus arides. Les déserts ont été créés comme ça, asséchés au fil des ans. Des rivages qui ont laissé de longues et profondes cicatrices, à force de sécher, puis sécher. Des lacs disparus, qui deviennent de gigantesques crevasses où on lit les époques dans les traits de couleurs estampés dans le roc. Chacun des états américains présente des diversités spectaculaires qui lui sont propres. On a déjà admiré ces paysages lunaires et mystiques dans les films, on y associait une prestance presque hautaine. Mais en personne, le désert demeure timide, il n’est pas très bavard, on dirait même qu’il est plutôt sauvage. On le découvre sous tous ses plis, on passe nos doigts sur ses rugosités, on y tache nos souliers à force de piétiner dans son sable poussiéreux, et il nous avalera tout rond si on s’y aventure un peu trop loin.

#CHASINGLIGHT

Bousculés par un retour à la maison inévitable, on s’émerveille du contraste qui s’opère entre les paysages immobiles, et notre chasse aux déserts qui, ironiquement, s’exécute à un rythme effréné. On doit parcourir des centaines de kilomètres en urgence parce qu’il y a tout à accomplir, tout à voir, des histoires à écouter, des images à ne pas manquer. On poursuit la lumière parfaite pour photographier le désert dans ses plus beaux habits. La clarté du jour étant trop éblouissante, il faut attraper les rayons du crépuscule et ceux qui s’éteignent pour marquer la tombée de la nuit. Et chaque soir on réalise, après notre course contre la montre, qu’il faudra revenir le lendemain matin pour peaufiner certains clichés imparfaits; des nuages se sont levés de façon impromptue ou les rayons ont disparus derrière les montagnes sans nous avertir. Retourner sur les mêmes lieux en quête de cette lumière parfaite qui transformera le sable en véritable tapis de petits diamants a quelque chose de désolant : on a raté le moment présent. Forcés d’admettre notre défaite, on ne peut que se souhaiter de revenir un jour avec la sagesse de savoir s’abandonner, de se laisser imprégner par la lumière plutôt que de tenter de la capturer.


Texte

Mathieu Lachapelle

Photos

Mathieu Lachapelle et Hélène Mallette

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