D’or vert et de lumière

Le Cresson de Fontaine d’Île-de-France

Il est de ces bijoux naturels, d’une beauté singulière, qui croissent de lumière et d’eau fraîche. Le cresson de fontaine, plante potagère aux innombrables vertus, est cultivé en France depuis des décennies. Aujourd’hui, cette plante est ramenée sur le devant de la scène gastronomique par de nombreux chefs et restaurateurs qui en vantent les mérites gustatifs et esthétiques. Discrète, elle a par ailleurs trouvé son terrain d’élection dans le département de l’Essonne où elle fait partie intégrante du patrimoine naturel et des habitudes de consommation.


C’est accompagnée de Tristan, photographe de profession, que je prends en cette matinée printanière le chemin des cressonnières de l’Essonne. Tandis que les tours de Paris, baignées de la lumière naissante du petit matin, s’éloignent dans le rétroviseur, des paysages verdoyants, d’une linéarité et d’une géométrie surprenantes, s’ouvrent devant nous. Très vite, nous parvenons dans le petit village de Saint-Hilaire, où le cressiculteur Vincent Barberon nous réserve, au chemin des Cressonnières, un accueil chaleureux et attentif. La nature environnante, elle aussi, nous témoigne ces mêmes attentions; les alentours sont paisibles. Autour de nous, la campagne s’éveille, aussi lentement que le jour s’installe. Le chant clair des oiseaux, comme un bruit blanc apaisant, n’a pour concurrence que le bruissement de la brise dans les herbes hautes.

Auréolé de cette quiétude, Vincent Barberon nous invite à pénétrer dans sa cressonnière, installée non loin de la Louette, une petite rivière aux reflets verts lumineux. Un paysage parfaitement équilibré s’offre alors à notre regard. Comme autant de tableaux impressionnistes aux atmosphères verdoyantes, apaisantes et poétiques, des étendues de terre et d’eau, entourées d’arbres majestueux, se partagent l’espace, selon une forme de compromis singulièrement façonnée par l’Homme.

Disposés dans des bassins d’environ 80 mètres de long sur 2,5 mètres de large, baignés dans quelques centimètres d’eau scintillante, les plants de cresson poussent imperceptiblement. Ces bassins, qui sont le cœur même de la cressonnière, sont alimentés en eau douce à la température naturelle constante de 12 °C. Elle est puisée directement dans les nappes phréatiques à l’aide de puits artésiens. Grâce à ce mécanisme traditionnel utilisé depuis l’Antiquité et à une disposition légèrement pentue du sol, l’eau circule inlassablement, dans une lenteur fascinante.

Le cressiculteur, qui nous livre de précieuses explications au fil de nos déambulations, nous expose l’importance de ce circuit court. Il favorise une culture saine en prévenant la stagnation néfaste des eaux dans la culture de cette plante semi-aquatique. Il nous explique également la force brute de la terre argileuse, équilibrée par un ajout de sable, toute gorgée d’eau, dans laquelle nous nous enfonçons légèrement tandis que nous parcourons l’exploitation. Au-delà du discours, naturellement, la puissance des éléments nous subjugue. La rosée perle à la surface des feuilles du cresson, rafraîchissant l’air, et l’odeur brune et épaisse de la terre humide, mêlée au parfum épicé des plants, nous dicte la donne : fertilité et force sont les maîtres mots de ce paysage délicat.

Comme l’affirme par ailleurs Vincent, la réussite du cycle cultural repose sur une patience et une attention infaillibles. Le cressiculteur garde à l’œil la circulation de l’eau claire, la pureté des bassins et l’inclinaison régulière des plants. Mais à cette routine essentielle s’ajoute l’indispensable bienveillance de la lumière naturelle dans laquelle, en ce matin de mai, baigne la cressonnière. Cette lumière cuivrée, qui offre autant de riches déclinaisons esthétiques qu’elle caresse les textures des plants et sculpte ce paysage aqueux et verdoyant, nous apparaît comme la matrice de la production du cresson. Elle en accompagne la naissance et le développement par la force même du processus de photosynthèse.

Les rayons du soleil, à la densité croissante au fil des heures, viennent flatter les racines de la plante, immergées dans l’eau cristalline, et par un phénomène de réfraction créatrice, lui assurer un caractère et une vivacité sans égaux. Le raffinement du produit, que Vincent nous fait goûter sans plus attendre, témoigne de ce rapport élémentaire à la lumière. La texture juteuse de la feuille de cresson, que nous palpons entre nos doigts, laisse place, sur le palais, à une vive saveur poivrée et herbacée, à laquelle se mêle un arôme discrètement citronné. Ces sensations n’étant pas sans rappeler la fraîcheur acidulée du radis, elles sont, du reste, à la hauteur du surnom que l’on donne par ici au cresson : « l’or vert de l’Île-de-France ». Véritable trésor naturel à la complexité gustative inattendue et à la délicatesse rare, chef-d’œuvre d’orfèvrerie photosynthétique, le cresson n’a de dettes qu’envers cette terre et cette eau claire sur lesquelles se reflètent le soleil et le savoir-faire intact des cressiculteurs.


En effet, l’élégante cressonnière que nous découvrons n’est pas sans témoigner du travail méthodique que Vincent s’applique à nous transmettre. Ce fils de cressiculteur, un instant rejoint dans ses explications par son père, nous fait part de toute l’abnégation que nécessite la culture du cresson. Fidèlement dévoué à cette monoculture, qu’il a toutefois récemment diversifiée en accueillant sur son exploitation des plants de wasabi, plante cousine du cresson à bien des égards qui s’épanouit cependant dans un univers ombragé, Vincent nous fait part de ses valeurs de travail.

Son investissement infaillible et sa confiance en la nature se retrouvent dans son engagement à produire selon un cycle cultural complet, récoltant, lorsque le cresson fleurit, les graines qui serviront à la prochaine semence. La récolte des bottes de cresson, à laquelle nous assistons, est quant à elle essentiellement manuelle. C’est avec l’aisance et les gestes instinctifs tirés de l’expérience que Vincent compose, à vue d’œil, des bottes parfaitement équilibrées. Elles viennent s’empiler sur les bords des bassins, puis dans des cagettes prêtes à aller séduire les gourmets du pays.

Le cressiculteur à l’œuvre, fort de transmission et fier de ce patrimoine naturel, nous invite alors à le rejoindre dans les bassins et à lui prêter main-forte. De nos mouvements mal assurés, nous goûtons au plaisir de cette culture singulière, et, les bras chargés de cresson frais, nous nous en retournons vers de nouvelles expériences gustatives, non moins lumineuses.


Texte : Jeanne Prévost

Photos : Tristan Pereira

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