Jamais trop de chocolat

D’habitude, je n’aime pas vraiment devoir mettre mon réveil plus tôt le matin pour aller affronter le trafic. Surtout le vendredi. Mais ce jour-là, c’était différent, parce que j’allais visiter un vrai de vrai laboratoire de chocolat et rencontrer la vraie de vraie Juliette de Juliette & Chocolat.

Aussitôt arrivé, elle m’accueille, telle une tornade d’énergie pure, avec un sourire qui ne la quittera pas de la matinée. Pas besoin de forcer sur le café, il suffit d’essayer de la suivre. Après un essayage d’un des fameux chapeaux rouges iconiques de la compagnie, on part à la découverte du laboratoire et des petites mains qui y œuvrent. Nous sommes rejoints par Julie, qui supervise la production ici et dont la retenue constitue le parfait complément au caractère de Juliette.

Comment tout a commencé?

C’était d’abord un restaurant. Avant, on achetait nos pâtisseries, nos brownies, nos chocolats. On avait des bons fournisseurs, mais je me disais que j’aimerais qu’on les fasse nous-même. On ne pouvait pas : notre premier local sur Saint-Denis était tellement petit! Ça devait faire trois mètres sur deux, incluant une chambre froide! C’était à peu près la grosseur de la salle de bain ici. (rires) Il faisait tellement chaud, c’était impossible de travailler le chocolat. Mais pour essayer, on a essayé! J’ai encore les journaux de nos productions de l’époque, on faisait genre six brownies par jour, quatre fondants… Maintenant on en fait de 3000 à 3200 dans une journée!
— Juliette

Et le laboratoire?

On a ouvert un deuxième local sur Laurier. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on aurait besoin d’une cuisine centrale. À ce moment-là, on avait deux pâtissières et elles ne faisaient pas exactement la même chose. Elles faisaient les mêmes recettes, mais il y en avait une qui laissait cuire plus longtemps, l’autre qui fouettait différemment… Les méthodes de travail n’étaient pas exactement les mêmes. On s’est dit que pour grandir, il nous fallait une cuisine centrale afin d’avoir la même qualité partout.

Vous aviez dans l’esprit de grandir?

Toujours. On n’est pas encore rendus à la moitié de ce que je voudrais réaliser. Quand je regarde en arrière, je me dis que c’est incroyable tout ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, mais il y a encore tellement de choses que je veux faire, on pourrait être deux cents fois meilleurs! J’apprends beaucoup de choses dans la croissance, au fur et à mesure, avec nos essais, nos erreurs.

Étape après étape, vous avez développé la fabrique, c’est ça?

On s’est d’abord installés au coin de Jean-Talon/ Décarie et depuis, on a déménagé ici parce que ça devenait trop petit. On a tout refait, on a décidé des partitions. On a pu installer l’air conditionné pour l’espace chocolaterie. On a grandi de manière très organique. Je garde tout; ça me permet de voir comment on fonctionnait au tout début et de comparer avec maintenant, c’est le jour et la nuit !

Êtes-vous complètement équipés maintenant?

Julie a sa petite liste de choses qu’elle voudrait qu’on achète pour lui faciliter la vie. (rires) Mais on a toutes les machines ou presque. Honnêtement, ce sont des trucs qu’on a tous à la maison, mais en plus gros format. Tout est fait à la main, même le collage des étiquettes.

On commence la visite par la grande pièce. À droite : fondants, rochers et brownies. À gauche, des employés préparent des portions d’ingrédients pour les restaurants. Juliette a un mot pour chacun d’eux, une blague, un compliment. Pendant ce temps, j’ai le droit de tout essayer. J’en profite au maximum. C’est délicieux. Juliette m’entraîne devant chaque table : « Il faut que tu goûtes ça! » D’après Julie, le petit péché de Juliette, c’est les rochers. La coupable avoue : « Oh my God! Ça! Des fois, j’en apporte dix dans mon sac avec moi! »

En plus de toujours goûter du chocolat pour le travail, en manges-tu une fois rendue à la maison?

Évidemment! Je suis en pleine croissance, faut manger! (rires) Des fois je vais même acheter du chocolat ailleurs. J’ai besoin de nouveauté. En plus, il y a des chocolatiers qui font des choses extraordinaires ici. Mes amis ne comprennent pas toujours pourquoi j’ai des chocolats d’ailleurs. J’aime bien goûter, c’est important, et j’aime varier!

Donc, tu manges du chocolat vraiment tous les jours ?

Tous les jours. C’est pas simple! (rires) C’est cool ici parce qu’on voit les choses évoluer, du début jusqu’à ce qu’on arrive au goût que j’avais en tête au départ. Souvent, je donne une idée à Julie, ce que je vois comme base de recette, et je l’accompagne jusqu’au produit fini. Des fois, quand je lui dis que j’ai une nouvelle idée, je la vois se demander : « Qu’est-ce qu’elle va encore me faire faire?

La création de nouveaux produits prend-elle du temps?

Julie teste des recettes, moi je goûte. On reteste, je regoûte. (rires) C’est un long processus. Il y en a qui prennent plusieurs années à aboutir, parce qu’il faut aussi penser aux opérations en cours. Produire ici c’est une chose, mais il faut penser aux magasins. Il faut que le produit soit aussi bon ici que dans les succursales. Mais ne t’inquiète pas, je n’oublie jamais mes idées, je reviens souvent dessus!

On poursuit dans l’espace chocolaterie où des toques rouges préparent des boulets de chocolat pour le calendrier de l’avent. Le travail est méticuleux, mais il faut garder un bon rythme; le chocolat ayant son petit caractère… Il fige si on ne s’en occupe pas tout de suite, il préfère certaines températures et certaines mains. Je m’essaie, mais pas de chance pour moi, les miennes sont moites tandis que celles de Juliette sont plutôt froides : « On m’a toujours dit que j’avais des mains parfaites pour le chocolat. » Là-dessus, Lionel, son mari et partenaire d’affaires, arrive avec ses trois enfants qui n’ont pas l’air malheureux de pouvoir déguster de nouveaux produits en développement.

On change de pièce et nous voilà devant une demi-douzaine de nouveaux chocolats. Je goûte, encore, et je découvre praline, framboise, café, caramel et autres surprises dans de délicieux cubes de chocolat. Mon foie tient bon, alors on part au marché Jean-Talon pour visiter un de leurs restaurants et goûter aux crêpes, une autre spécialité de Juliette : « J’ai été formée en France, par un vrai Breton. J’aime tellement les galettes de sarrasin! Je ne m’en lasse jamais. Pourtant des crêpes, j’en mange quasiment tous les jours! »

Juliette est au laboratoire au moins une fois par semaine, le reste du temps, elle fait le tour des succursales, se tient au courant de toutes les opérations : « Je veux voir comment les employés travaillent, où ils placent les choses, comment ils circulent dans l’espace. J’apprends des chapeaux rouges. Des fois je les vois faire des choses que je n’aurais pas faites pareil. » Ce lien avec le terrain n’a jamais été brisé, depuis les débuts de l’aventure. « Au départ, je faisais les crêpes, je lavais les toilettes, je faisais les boissons, je faisais le service, je faisais tout. J’ai dû arrêter quand j’ai eu mon premier bébé; j’ai eu une hernie discale et j’ai dû être alitée. Je ne pouvais plus bouger. Pendant que je me remettais sur pied, les opérations se sont mises à rouler sans moi. Ça a été une révélation! La première vraie étape de l’entrepreneuriat c’est d’arriver à déléguer. Je veux que ce soit parfait, mais j’accepte de ne pas pouvoir tout contrôler. » Juliette & Chocolat possède aujourd’hui huit succursales et aspire à en ouvrir d’autres.

Il est midi et pendant que Juliette se prête au jeu des photographies, je termine ma matinée de dégustation par une crêpe salée réalisée dans les règles de l’art. Mon corps et moi faisons le bilan : tout est au vert, la sérotonine engendrée par ma consommation de chocolat m’a rendu zen, l’énergie déployée par Juliette m’a réveillé et mes papilles ont tripé autant qu’un enfant dans une fabrique de chocolat.


Texte

Sylvain Martet

Photos

Sylvie Li

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