Cerise de terre
À l’arrivée de l’automne, nous nous accrochons vivement à ce qu’il reste de l’été comme si nous n’allions plus jamais sentir le soleil réchauffer notre peau. Nous profitons des derniers après-midi en t-shirt, des soirées improvisées sur la terrasse et des feuilles colorées illuminées par un soleil ardent.
AUTOCUEILLETTE
C’est alors que l’autocueillette devient l’une des activités chouchoutes des Québécois. Quand le beau temps est au rendez-vous, il n’y a rien de mieux que de s’entourer de proches pour passer une journée dans un petit coin de nature. Mais outre les classiques (pommes, poires, courges et citrouilles), on retrouve une vaste gamme d’autres douceurs en cueillette libre tout près de Montréal une fois l’automne venu : fraises d’automne, raisins, tomates, artichauts et légumes divers.
Cette fois-ci, nous avons visité la ferme La Fille du Roy, à Sainte-Madeleine, pour découvrir et cueillir la cerise de terre, puis la goûter sans attendre en préparant une petite salsa sur place.
Premier arrêt : le jardin collectif dont je suis membre, question de faire le plein d’herbes fraîches pour notre recette. (Bon, je me suis peut-être laissée tenter par quelques magnifiques aubergines, courgettes et tomates Heirloom en passant, je l’avoue.) À peine 30 minutes de voiture plus tard, nous arrivons à la ferme.
Au premier coup d’œil, il est difficile d’imaginer que toutes ces plantes à larges feuilles vertes produisent des fruits. Mais quand on regarde de plus près, on remarque les centaines de petites lanternes vertes qui pendent des tiges. Et c’est quand on soulève les feuilles pour révéler le sol qu’on reconnaît le petit fruit vendu en épicerie, car la cerise de terre mûre tombe d’elle même au sol. Alors qu’une enveloppe verte contient un fruit trop amer pour être mangé, l’enveloppe en papier quasi transparent cache le fruit le plus mûr et le plus savoureux.
CERISE DE TERRE
La cerise de terre fait partie de la famille des solanacées, du genre physalis, ce qui en fait une proche cousine de la délicieuse tomatille qu’on utilise pour préparer la salsa verde mexicaine. Bien que l’une ressemble à une petite baie orangée et l’autre à une tomate verte, cela n’a rien de surprenant : après tout, elles sont toutes deux protégées par leur mince enveloppe en papier distinctive. En effet, chaque cerise de terre est tel un bonbon entièrement naturel; on la déballe pour découvrir une petite bille parfaitement ronde, luisante et dorée. C’est sa délicate enveloppe qui lui a valu les jolis noms d’amour-en-cage et de lanterne japonaise. On peut aussi soigneusement séparer les sépales formant l’enveloppe et les replier vers l’arrière pour donner des ailes au petit fruit avant de le faire craquer sous nos dents pour révéler son goût parfumé et délicat, à la fois sucré et acidulé.
Qui pense cerise de terre pense dessert. On la voit souvent en décoration de gâteaux, trempée dans le chocolat ou le caramel, en muffins ou tartes, en confiture ou compote, pour garnir une crêpe ou pour compléter une salade de fruits. Mais elle peut également apporter une surprenante touche acidulée et sucrée à bon nombre de recettes salées : en sauce, salsa ou chutney, elle rehausse les viandes et fruits de mer et même les pavés de tofu mariné. On la marie souvent au miel, aux agrumes, au romarin ou à l’estragon.
Comme elle est difficile à trouver hors saison, on conseille de cueillir ou acheter la cerise de terre à l’automne, pendant qu’elle est fraîche et parfumée à souhait, puis de la mettre au congélateur. Au frigo, elle se conserve plusieurs semaines, tant qu’elle est bien protégée au cœur de sa délicate enveloppe.
SALSA
Sur une table à pique-nique à l’ombre, loin de la foule s’extasiant devant les courges de toutes les couleurs et textures, nous nous sommes assis pour casser la croûte tous ensemble. Au menu, une salsa de cerise de terre à la lime, aux fines herbes et au feta, servie sur un pain d’automne aux graines de citrouille. Ce que j’aime des salsas, c’est qu’on peut réellement y aller avec le feeling, sans trop se soucier des quantités et de la grosseur des morceaux. On peut tout préparer en deux temps, trois mouvements, puis prendre le temps d’en profiter longuement. Et on s’entend qu’après avoir passé une bonne heure à cueillir au soleil, nous étions impatients de goûter au fruit de notre récolte. Les bras et regards se croisaient tandis que nous développions des centaines de petites billes dorées, notre concentration brisée par un fou rire ou deux.
Le plus difficile dans toute l’entreprise, c’était d’éviter que le petit Henri vole toutes les cerises de terre tandis que nous les libérions de leur fine enveloppe en papier et que Bali – le chien des sympathiques propriétaires de la ferme prenne une bonne mordée de notre pain.
Nous avons quitté la ferme alors que le soleil commençait à se coucher. Les journées se faisant de plus en plus courtes, nous avons tout de même profité de chaque instant de soleil, de rigolade et de découverte. Henri a goûté à sa toute première cerise de terre et est tombé complètement sous le charme. Pierre, brasseur à la microbrasserie Harricana, nous a montré ses talents de cueilleur en récoltant une quantité phénoménale du fruit pour faire des tests à la brasserie. Sac de papier rempli de joyaux orangés à la main, j’ai quitté la ferme avec le nez rosi par le soleil et des rêves de clafoutis plein la tête.
Texte
Ariane Bilodeau
Photos
Sylvie Li