Les champignons des moines
Dimanche après-midi à l’Abbaye Val Notre-Dame de Saint-Jean-de-Matha, nous partons à la découverte du domaine au pied de la Montagne Coupée et les produits forestiers qu’il sait bien cacher. Une courte marche nous permet de découvrir un monastère à l’architecture tout simplement divine, des moines tout sourires, des champignons de toutes les formes, couleurs et grosseurs, des plantes à la fois étranges et attrayantes, et des paysages à couper le souffle. On aime.
Un monastère pas comme les autres
Dans les années 50, le monastère connu sous le nom de La Trappe d’Oka (dans la région du même nom) atteint son apogée avec un total de 177 moines et la création du fameux fromage d’Oka. Une cinquantaine d’années plus tard, le manque de relève entraîne un repli important du nombre de moines.
Les locaux sont désormais trop grands, et l’environnement de plus en plus touristique et bruyant pousse les célèbres moines trappistes derrière l’Institut agricole d’Oka à se relocaliser dans la région de Lanaudière, troquant ainsi l’effervescence d’Oka pour un cadre enchanteur composé d’une forêt de 187 hectares sillonnée par une vingtaine de kilomètres de sentiers. C’est dans un monastère lumineux, avant-gardiste et épuré signé Pierre Thibault – architecte québécois prônant l’osmose bâtiment-environnement – qu’ils se sont établis. Ce territoire, très différent d’Oka, présente également la principale, voire la seule, source de revenus du monastère : les produits forestiers.
Un partenariat avec la nature
Notre hôte est François Patenaude, un homme super sympa à la fois Zapartiste, propriétaire de la compagnie Saveurs des bois et responsable des produits forestiers à l’Abbaye. Il termine son troisième été au monastère, et passera les saisons plus froides à se pencher sur des tâches de rédaction, de documentation et de préparation d’ateliers. Sa spécialité? Les produits forestiers non ligneux (ou PFNL), un terme pas très glamour qui désigne tout produit d’origine biologique, sauf le bois, provenant des forêts : fruits et champignons sauvages, plantes médicinales et comestibles, etc.
Aidé d’un moine pour la culture et le traitement de plantes forestières, et de deux autres pour les champignons, il déploie tous les efforts possibles pour remplir les tablettes du magasin de l’Abbaye. « Je viens travailler et je me dis ‘’Wow, c’est mon bureau’’ », dit-il, les yeux brillants. En plus d’offrir divers ateliers portant sur les produits forestiers et l’identification d’oiseaux, l’Abbaye offre un assortiment de séduisants produits et sous-produits forestiers cueillis et transformés sur place : champignons frais et séchés, aromates forestiers, condiments, mélange pour crème de champignons sauvages, tisanes et infusions, produits cannés et chocolats forestiers (notamment au thé des bois). Coup de cœur pour le sel aromatisé aux champignons homard!
Granulométrie, symbiote, monarde…
La linguiste en moi se réjouit de découvrir ces nouveaux mots, en plus de l’univers vraiment fascinant de l’Abbaye. Nous visitons d’abord les lits de culture de champignons de type strophaire : un genre de lasagnes composées de couches de mycélium (soit les racines des champignons) mélangé avec des copeaux de bois, idéalement de saule, et de terre. « On recouvre ensuite de toile pendant deux mois pour éviter les spores de champignons compétiteurs », nous explique François. Tandis que le mycélium colonise le milieu, la granulométrie change, et le sol devient plus dense, plus blanc et plus granuleux. En procédant de cette manière, l’Abbaye sait produire environ 100 kilos de strophaires par année.
Nous passons ensuite à ce qui est, de toute évidence, le dada de notre hôte : un jardin-verger d’arbres à noix anti monoculture qu’il a créé avec un ami horticulteur. On y retrouve notamment cerisiers, monardes (une plante herbacée à pétales rouge vif qui, une fois séchés, ressemblent au safran – mais rouge – et goûtent un mélange de basilic et thym), kiwis nordiques, melons d’Oka, et j’en passe. Même les champignons sont au rendez-vous. « On essaie de reproduire un système naturel, mais où c’est nous qui décidons ce qu’il va y avoir », déclare notre hôte avec fierté. « Bien des gens disaient que la nature était en compétition. C’est sûr qu’il y a de la compétition, mais il y a aussi – on a tendance à l’oublier – de l’entraide. » En effet, le mycélium ne vient pas parasiter les cultures; au contraire, il vient aider la végétation en apportant plus d’humidité près de la surface. Les végétaux sont donc en meilleure santé grâce à leur champignon symbiote.
Le strophaire rouge vin
La boutique de l’Abbaye regorge de goodies champignonneux préparés à base de spécimens de toutes les tailles, couleurs et formes : chanterelles, cèpes, bolets poivrés, champignons homard, alouette! Toutefois, c’est le strophaire rouge vin qui est mis en vedette. Ce beau champignon ferme et dense au pied bien blanc et au beau chapeau allant de rouge vin à jaune est un petit secret bien gardé qui fait la joie de plus en plus de gourmets. Il s’agit d’un champignon comestible à la chair ferme et au léger (mais succulent!) goût de noisette qui pousse naturellement dans les bois raméaux fragmentés. Comme pour tous les champignons sauvages, il faut le faire cuire avant de le consommer. On nous conseille de le sauter avec du beurre et de l’ail, tout simplement. Pour ma part, je l’essaie ce soir avec quelques autres délices des bois dans une sauce crémeuse à la fleur d’ail et aux tomates séchées. À plus!
Texte
Ariane Bilodeau
Photos
Jean-Michael Seminaro