Dinette X le Lait

La biodiversité au coeur de l’agriculture

DES PRODUCTEURS DE LAIT SOUCIEUX DE LA SANTÉ DE LEUR TERRE

PARTENARIAT | Dans le cadre de notre nouveau numéro intitulé ‘’ Vert ‘’ le Lait nous a lancé une invitation bien spéciale : visiter la ferme laitière de la famille Laquerre pour y découvrir ses initiatives vertes!  

Je quitte la maison accompagnée de River, un caniche royal qui me suit dans toutes mes aventures depuis bientôt un an. Deux heures de voiture nous séparent du point de rencontre fixé par Mathieu : un casse croûte situé à Sainte-Anne-de-la-Pérade, une ville que j’ai visitée une fois, pour la pêche au poulamon. Le ciel est bleu, parsemé de gros nuages blancs qui nous assurent d’agréables pauses de soleil. Je rejoins mes collègues pour un lunch tardif, et nous en profitons, entre deux bouchées de poutine au chou, pour planifier notre visite à la ferme laitière de la famille Laquerre, dans le village voisin de Saint-Thuribe – une rencontre initiée par le Lait dans le but de découvrir et de partager les initiatives vertes de la ferme.

À notre arrivée, nous sommes accueillis par Noëlline, une dame que je devine être la femme de Sylvain, la mère de Maxime et de Benoît et la grand-mère des deux petits bonshommes collés contre ses hanches et qui me regardent sortir de la voiture. Deux hommes viennent la rejoindre en souriant. Il s’agit de Sylvain et de son fils Maxime, qui représentent les sixième et septième générations de fermiers chez les Laquerre. On nous informe que Benoît, l’autre partie de la relève, ne pourra pas se joindre à nous. River, lui, semble avoir jeté son dévolu sur Andrew, le plus petit membre du groupe, et le suit partout en gambadant.

La visite commence dans les bureaux de la ferme. Les nombreux diplômes et trophées qui ornent le mobilier qui nous entoure confirment que nous avons affaire à une famille de fermiers largement récompensée pour la qualité de son travail. Ordre national du mérite agricole du MAPAQ et de la Coop Fédérée (aujourd’hui Sollio groupe coopératif), certificat de distinction pour la qualité du produit, trophée Albert-Desrosiers pour la vache Holstein donnant le meilleur lait et celui auquel mes collègues et moi portons le plus grand intérêt : le prix du développement durable en production laitière.

En effet, ce qui motive notre rencontre avec les Laquerre aujourd’hui, c’est le fait qu’ils sont reconnus pour leurs initiatives de revitalisation et de protection des écosystèmes composant leur territoire agricole. Parce qu’un environnement sain est vecteur de réussite pour cette famille de producteurs de lait, et ça, ils l’ont bien compris. Le soin qu’ils portent à l’écologie a un impact direct sur la santé de leurs vaches, d’abord parce que ces dernières sont nourries à 100 % de foin et de céréales provenant de leur terre, mais aussi parce que ce milieu est plus positif, riche et propice à la régénération de la nature. Un élément clé qui permet de faire évoluer la ferme, de la protéger et d’assurer sa pérennité pour les générations futures.

La terre des Laquerre s’étend sur près de 235 hectares et est presque entièrement bordée par des petits cours d’eau reliés à la rivière Niagarette. Partout où je regarde, j’aperçois des arbres et des arbustes établis aux abords des ruisseaux et des fossés. Noëlline m’explique que cette flore n’a pas toujours été là.

Dans les années 80, lorsqu’elle et son mari ont repris la terre familiale, toute cette végétation avait été coupée, à la suite des recommandations gouvernementales. Les experts ont vite fait de se rendre compte que l’absence de végétation aux abords des cours d’eau créait une érosion catastrophique des berges et des champs et qu’il fallait réintégrer des plantes stabilisatrices afin de protéger le territoire. Depuis, les Laquerre ont planté plus de 6 000 arbres et ont fait appel à un organisme de protection des bassins versants afin de définir les actions à porter pour aider la nature à retrouver la forme. La végétation qui nous entoure est foisonnante, et il est difficile d’imaginer qu’elle ait pu avoir été absente un jour.

Maxime nous invite à le suivre à la rivière pour observer les améliorations de structure effectuées au fil du temps. Sylvain nous explique que certaines berges ont été empierrées, c’est-à-dire que des tas de gros cailloux ont été déposés aux abords de la rivière. Avec le temps, la végétation s’y est installée et la solidité des berges s’est vue assurée. Les bandes végétales qui longent les cours d’eau constituent maintenant un habitat de choix pour plusieurs oiseaux, dont les canards branchus qui y reviennent chaque année pour nicher.

Lorsqu’on améliore la biodiversité végétale et la qualité de l’eau d’un lieu, c’est tout l’écosystème qui en bénéficie, les vaches aussi. À certains endroits dans la rivière, les Laquerre ont construit des seuils en pierre. Ces structures agissent un peu comme des petits barrages. D’un côté, la rivière s’accélère, créant une importante oxygénation de l’eau. De l’autre, l’eau y est plus calme et constitue un endroit de repos pour les poissons. Et vous savez quoi? Contre toute attente des biologistes de la région, les truites, longtemps absentes dans ce cours d’eau, sont revenues. Étonnée, je félicite Sylvain qui, à la demande de Nicolas le photographe, se trouve pieds nus dans l’eau, avec son fils, au beau milieu du ruisseau. « La dernière fois que j’ai marché nus pieds dans la rivière, je pense que j’avais 10 ans! », lance-t-il, et nous éclatons de rire.

Les champs qui nous entourent sont cultivés en semis direct, c’est-à-dire sans labour préalable, depuis 2006. Maxime explique que cette technique augmente la capacité portante du sol, améliore sa structure, diminue son érosion et empêche l’engrais de se retrouver dans les cours d’eau – en plus de leur sauver un temps énorme.

Mais le plus bel avantage d’un champ sans labour, c’est sans doute la présence accrue de vers de terre qui, en creusant des galeries, assurent l’aération et le retournement du sol. Ici, pour permettre au sol de se régénérer, on cultive en rotation. Année après année, maïs, blé et luzerne se succèdent sur les parcelles de culture. Cette manière de procéder permet une meilleure rétention de l’eau, des nutriments et du carbone dans le sol. En résultent des besoins moindres en irrigation et en fertilisation ainsi qu’une diminution des gaz à effets de serre dans l’atmosphère.

À mes pieds, de beaux plants de luzerne poussent parmi les débris de maïs de l’année précédente. Les tiges de maïs laissées au sol permettent de conserver l’humidité, de fournir de la matière organique et d’empêcher les mauvaises herbes de s’établir. D’autres pratiques culturales écologiques sont mises en œuvre dans les parcelles avoisinantes, comme la plantation de l’ivraie vivace entre les rangs de maïs, pour empêcher l’érosion et fertiliser le sol. Le plastique qui sert à emballer les ballots de foin est récupéré par une compagnie qui en fait des butoirs de stationnement.

La visite se termine dans l’étable, un endroit propre et moderne où les vaches vont elles-mêmes se faire traire par une trayeuse robotisée. Elles évoluent au sein d’une surprenante biodiversité. Elles mangent le foin récolté à même les terres entourant l’étable et produisent un lait d’une qualité remarquable. J’en aperçois une, couchée au sol. « Un vêlage! s’exclame Maxime. Elle en a peut-être pour une heure de travail. Je vais aller me changer avant d’aller l’aider. »

Triste de manquer la naissance du veau, mais heureuse d’avoir rencontré des producteurs de lait soucieux de l’environnement et du bien-être animal, humain et naturel, j’embarque dans ma voiture. River, fidèle à son habitude, s’installe sur le banc passager. Par la fenêtre, j’envoie la main aux Laquerre et je prends la route. Le vent dans les cheveux, une idée me traverse l’esprit : ce soir, je cuisinerai un riz au lait, comme le faisait ma grand-mère, garni de crème chantilly et d’un crumble au beurre. Ce sera une belle manière de clore cette merveilleuse journée et de rendre hommage à l’histoire de notre agriculture.


Texte : Élisabeth CardiN

Photos : Nicolas Blais & Mathieu Lachapelle