La Caverne

Agriculture du futur

C’est connu, l’agriculture repose sur des bases simples qui ont su traverser le temps et les époques jusqu’à nous : les plants ont besoin de sols fertiles, d’eau et de soleil pour pousser et produire enfin les fruits, les légumes, les herbes, les verdures et les graines que nous consommons. Mais voilà que nous découvrons une association qui en revisite les rudiments au profit d’une agriculture différente et biologique. Une agriculture du futur.

LES STATIONNEMENTS AU PROFIT DE L’AGRICULTURE

La ville s’éveille à peine alors que nous descendons dans les entrailles d’un quartier nord-parisien, sous les tours d’un immeuble d’habitations à loyer modique (HLM). Dans la fraîcheur du matin, nous y découvrons peu à peu un parc de stationnement souterrain désaffecté, délaissé par les habitants qui ont troqué leur voiture contre les transports publics ou le vélo.

Plus bas, au bout de la rampe inclinée, nous retrouvons Jean-Noël Gertz, fondateur de l’Association Cycloponics et instigateur de l’agriculture souterraine urbaine dans les villes de Strasbourg, de Lyon, de Bordeaux et de Paris. Cette association fondée en 2016 a pour projet de réhabiliter des lieux souterrains oubliés en les transformant en fermes urbaines afin de nourrir les habitants des villes, demandeurs de produits biologiques d’origine locale.

Le projet des Cycloponics est non seulement nourricier, mais possède aussi une portée sociale et éducative. En effet, l’association embauche ses travailleurs agricoles localement dans les quartiers où les fermes urbaines sont installées, organise des visites de la ferme pour les écoles et le voisinage et propose des tarifs préférentiels sur les produits cultivés à la ferme aux résidents des immeubles.

Nous continuons notre descente dans les profondeurs de la ville, jusqu’à l’entrée de la seule ferme d’agriculture biologique de la ville de Paris. Au mur, une enseigne en néon nous indique le chemin : nous entrons dans La Caverne. Nos pas résonnent le long des places de stationnement numérotées. 231, 230, 229...

CHAMPIGNONS

Autour de nous, des rangées de grilles de métal suspendues depuis le plafond supportent des blocs de paille recouverts de géotextiles, ornés de chapeaux charnus de couleur rousse. Dans la champignonnière de La Caverne, les champignons sont cultivés hors du sol, dans de la paille biologique préalablement colonisée par un mycélium (champignon). À ce stade, le champignon n’est pas visible. C’est par l’association de facteurs climatiques optimums (taux d’humidité, chaleur) que les champignons pourront se développer.

Pour le shiitake, cultivé dans cette champignonnière, un taux d’humidité de 90 %, une température de 16 °C et un environnement sain sont les conditions optimales à sa culture. (Le champignon se nourrit des micro-organismes présents dans l’atmosphère environnante.) La taille du champignon double tous les jours, et au bout de deux semaines, quand son chapeau commencera à s’ouvrir, il sera prêt à être récolté et dégusté.

Au-dessus de nos têtes, des tubes de PVC crachent une vapeur colorée par l’éclairage artificiel. Notre aventure prend une tournure d’exploration nippone, alors que les shiitakes affichent des teintes rouges et bleutées sous l’effet de la lumière fluorée.

Peu répandue, l’agriculture souterraine offre pourtant de nombreux avantages tant pour les propriétaires des stationnements qui rentabilisent leur investissement que pour les agriculteurs. En effet, c’est un véritable tremplin pour les agriculteurs en herbe en manque de terrain et de moyens. La réhabilitation de ces lieux en fermes urbaines biologiques et locales est un véritable enjeu de société, vecteur d’emploi. Cette ferme urbaine fait vivre ainsi entre 10 et 15 saisonniers agricoles. De plus, ces lieux se prêtent particulièrement à la culture de légumes nécessitant peu de lumière et une chaleur constante.

Sous terre, la température ne dépasse jamais 18 °C, et les agriculteurs peuvent profiter de l’inertie souterraine pour conserver et économiser la chaleur nécessaire. Même si les conditions de travail semblent particulières (travail dans l’obscurité, humidité constante), « ça n’est quand même pas la mine! », nous lance Jean-Noël en esquissant un sourire devant notre air interloqué. Lui ne troquerait pour rien au monde son parc de stationnement souterrain contre une vie de bureau.

ENDIVES

Jean-Noël s’approche de ce qui semble être une grosse porte blindée. Il en défait les armatures verrouillées avant de s’aventurer le premier dans une pièce obscure, dépourvue d’éclairage. Alors que nous sommes là, plongés dans le noir, des bruits d’écoulement d’eau et de bouche d’aération résonnent dans nos oreilles, tandis qu’une odeur fraîchement humide embaume nos narines. Il allume une lampe torche pour nous faire découvrir ce qui se cache dans la pièce : tout autour s’élèvent des étagères métalliques de trois mètres de hauteur divisées en cinq étages sur lesquelles sont étendues des rangées d’endives. Ces légumes iroquois décolorés semblent se découper du fond noir dans un dégradé qui oscille entre blanc et vert clair, avec quelques nuances de blond.

Développée depuis les années 1980, la culture hors-sol de l’endive se prête particulièrement bien à la culture en espace souterrain. Les racines sont d’abord élevées en pleine terre avant d’être déterrées et transvasées dans de grands bacs agricoles percés en leur centre pour y laisser couler un filet d’eau en continu, ce qui permet l’irrigation en circuit fermé de la culture. De son côté, la partie feuillue de l’endive apparaît par forçage, au frais (la pièce indique 14 °C) et dans l’obscurité totale pendant une quinzaine de jours au bout desquels le légume atteint sa maturité.

Au loin, une musique fait écho et avec elle, une machine se met en branle. Nous suivons ces guides sonores pour en atteindre la source : une vieille chaîne de production qu’on jurerait tout droit sortie de l’univers de Mad Max! Une première ouvrière s’affaire à séparer la racine des feuilles à l’aide d’une scie rotative, laissant tomber la scarole sur un tapis roulant. Les battements de la machine guident quatre autres ouvrières agricoles qui, au rythme de la musique, nettoient les chicons de leurs imperfections, comme s’il s’agissait d’une chorégraphie calculée.

DE LA FERME À L’ASSIETTE, LE MÊME JOUR

L’endive est un produit fragile, c’est pourquoi La Caverne privilégie un circuit court : une fois récoltée, l’endive est acheminée dans les magasins biologiques situés à moins de 10 kilomètres de la ferme, en vélo. Ainsi, une endive cueillie le matin est livrée avant midi en magasin, et idéalement mangée en salade le soir même chez le consommateur!

Grâce à ce mode de culture, Jean-Noël obtient des endives très douces, légèrement duveteuses, peu amères et vraiment croquantes. Cette pratique permet aussi de produire des endives toute l’année : jusqu’à 500 kg d’endives sont cultivés par jour tout au long de l’année, de manière bio intensive, peu importe la saison.

La Caverne est un projet qui en appelle d’autres. L’association prévoit la réhabilitation de plusieurs lieux souterrains parisiens pour notamment réintroduire la culture du champignon de Paris dans la Ville lumière. La dernière champignonnière intra-muros a fermé ses portes il y a plus de 50 ans.

En remontant à la surface, nous croisons les cadavres d’endives en partance pour le compost et les mottes de paille cultivées, vestiges de notre voyage hors du temps, hors d’époque, hors saison, hors continent, dans une atmosphère unique. Il est certainement encourageant de savoir que cette pratique agricole souterraine innovante, à l’abri de la lumière du jour, sera en voie d’expansion dans les années à venir.

Pour l’instant, gageons que sa qualité et sa proximité poussent les consommateurs à se questionner sur leurs habitudes alimentaires et contribuent à les conscientiser sur les bienfaits d’encourager les producteurs locaux en matière d’économie, de santé et d’environnement.


TEXTE : BASILE LE CLERC DE BUSSY

PHOTOS : FABIEN COURMONT

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