La caverne aux mille merveilles

Dans les archives du Montréal underground


Au cœur du Mile-Ex, à Montréal, se cachent les bureaux d’ARCMTL.

ARCMTL, pour Archives Montréal, est un OBNL dédié à la préservation et à la promotion de la culture indépendante du Québec. Derrière leurs portes closes, ces archives regorgent de productions artistiques et culturelles étonnantes. Pensez bobines de film de famille, cassettes audio en tous genres, affiches de spectacles underground du début des années 2000, fanzines en tirage ultra limité et livres d’artistes extraordinaires, pour ne nommer que quelques-uns des articles qui façonnent la collection. Ces trésors insoupçonnés ont été sauvés de la disparition par le travail acharné d’une équipe de passionnés, à une époque où ce type d’objets était sous-apprécié. J’ai rencontré le directeur, Louis Rastelli, pour en discuter.

POUR L'AMOUR DE LA CONTRE-CULTURE

Je connais Louis depuis quelques années et je le croise bon an mal an dans les différents événements organisés par ARCMTL à Montréal, comme Expozine, Volume et La Grande. Mais c’était la première fois que nous prenions le temps de discuter ensemble des débuts d’ARCMTL et de la place que l’organisme occupe aujourd’hui dans le paysage artistique montréalais. « Au départ, nous étions huit cofondateurs, tous des petits éditeurs, et nous partagions des voitures pour aller à des foires de livres ou de fanzines à Ottawa, à Toronto… et nous étions tannés qu’il n’y ait rien du genre à Montréal. Après l’arrivée du Salon du livre anarchiste autour de 1997, nous avons décidé d’avancer avec un projet de salon généraliste pour les petits éditeurs.

En parallèle, nous discutions entre nous du besoin de fonder une archive pour toutes ces publications, les disques et les CD de bands locaux… Bref, tout ce qui semblait disparaître assez rapidement sans être préservé dans les institutions. Nous avons choisi de fonder un OBNL afin de pouvoir accéder à des bourses des Conseils des arts et d’assurer la pérennité de l’organisme », explique Louis d’entrée de jeu.

Fin 1998, ARCMTL voit donc le jour et, en janvier 2001, le collectif lance Distroboto, un projet original qui transforme les anciennes machines distributrices de cigarettes en machines distributrices d’art à prix modique. « Il y avait des projets de machines distributrices d’art ou de bandes dessinées à Amsterdam et aux États-Unis. Pendant ce temps, nous, ici, nous nous regroupions pour faire la distribution de nos fanzines un à un dans tous les points de vente de Montréal. Et Geneviève Gosselin [connue aussi sous le nom de Fidèle Castrée, cofondatrice d’ARCMTL, NDLR] faisait des mini-livres qu’elle vendait 1 $… Il y avait une convergence entre tout ça et, soudainement, c’est une idée qui a dominé notre organisme. Nous avons lancé notre première machine à la Casa del Popolo et elle s’est vidée en une semaine! Au départ, c’était une affaire très locale, mais le New York Times a cité Distroboto parmi les idées de l’année! », se rappelle le directeur d’ARCMTL. Puis, en octobre 2002, le collectif lance la première édition d’Expozine, son événement phare, qui accueille annuellement plus de 15 000 visiteurs au cours d’une fin de semaine dédiée à la promotion des fanzines, et qui fait personnellement partie de mes incontournables chaque automne.

VISION INCLUSIVE

Mais bien avant l’organisation du premier Expozine ou le lancement des premières machines Distroboto, les cofondateurs avaient décidé d’archiver des exemplaires de tout ce qui se crée dans le monde de la culture indépendante ou de la contre-culture en stockant leurs trouvailles temporairement à l’arrière du magasin Monastiraki, sur le boulevard Saint-Laurent, géré par un des cofondateurs, Billy Mavreas. Des fanzines, des affiches, de l’art imprimé, de l’art sonore, de la musique indépendante, des encarts promotionnels de lancements, de concerts et de festivals, et des affiches de petite taille, tous des objets qui ne sont habituellement pas admis dans les centres d’archives. « Les petites archives urbaines comme nous ont une grande ouverture d’esprit par rapport au format ou au type d’objets qui peuvent être archivés. Nous n’avons pas à fonctionner avec de vieilles normes désuètes pour tout ce qui touche à la culture indépendante », explique Louis.

Bien que les archives d’ARCMTL, qui sont installées dans le Mile-Ex depuis 2005, ne sont ouvertes que sur rendez-vous à des étudiants ou à des professionnels faisant de la recherche, j’ai eu l’occasion d’y entrer quelques fois. Quand Louis explique ce que la collection renferme, je m’imagine sans difficulté les rayons et les tables remplies de publications originales et disparates. Je repense aux exemplaires du journal The Montrealer qui était publié à Montréal entre 1926 et les années 70, aux artéfacts de l’Expo 67 et aux tout petits livres d’artistes pleins de couleurs que j’y ai déjà vus.

Alors je demande à Louis s’il y a des objets de la collection qui le touchent davantage que d’autres : « Après plus de 20 ans d’existence, nous avons commencé à archiver des fonds d’archives d’artistes de notre milieu, des femmes comme des hommes, qui sont décédés. Ça me tient beaucoup à cœur et je suis heureux que les familles soient reconnaissantes que nous ayons cet organisme et que nous ayons bâti une place parfaite pour héberger des archives d’artistes et d’auteurs importants. Ce qui me tient le plus à cœur, ce sont les illustrations, les fanzines et les albums de musique de Fidèle Castrée. Elle était cofondatrice d’ARCMTL et a fait partie de l’équipe. J’ai toujours aimé son style original, même plus quand elle s’est lancée dans la musique. Elle était la plus jeune des cofondatrices, mais elle a été la première à nous quitter, décédée d’un cancer il y a cinq ans », raconte ce passionné. Sur une note plus légère, il ajoute qu’il aime aussi beaucoup tout ce qu’on qualifie d’objet éphémère : d’anciennes cartes touristiques de Montréal, des films de famille sur bobine, des enregistrements anonymes sur cassette ou bobine audio, par exemple. « C’est un peu sur les marges de nos collections, mais j’adore reculer dans le temps de l’histoire populaire de Montréal par le biais d’un document banal comme des paquets d’allumettes, des collections d’anciennes cartes professionnelles, de vieux journaux », précise-t-il.

Intrigant? Tout à fait! Surtout lorsqu’on sait que la collection renferme également un set list écrit à la main de Godspeed You! Black Emperor et les premiers disques d’Arcade Fire. Mais, comme l’organisme n’a ni l’intention ni les moyens de transformer son espace en bibliothèque publique, il faut miser sur d’autres circuits pour découvrir le contenu des archives. Pour les rendre accessibles au public, l’équipe travaille donc sur plusieurs événements et expositions chaque année et réalise une émission de radio hebdomadaire, Montreal Sound Ark. Diffusée tous les vendredis sur les ondes de CKUT et également disponible sur leur site Web, l’émission est une belle façon de s’initier à l’univers d’ARCMTL… en attendant un prochain événement!


Texte : Catherine Ouellet-Cummings

Photos : Laurence Philomene