Monténégro

Topographie. Quand j’entends ce mot, je pense immédiatement à des cartes, à des routes et à des panneaux de signalisation. Mais qu’est-ce qui arrive quand on s’éloigne des sentiers battus, question d’explorer le monde à notre façon? C’est ce que j’ai décidé de faire lorsque je suis partie à la découverte du Monténégro avec mon amie Sabina. Mais avant de plonger dans notre aventure, revenons sur les pas qui m’y ont menée.

Le Monténégro est un petit pays du sud-est de l’Europe, situé dans les Balkans. Il regorge de panoramas divers à couper le souffle, allant de près de 300 km de paysages côtiers avec vue sur la mer Adriatique à un vaste et profond canyon, en passant par des lacs glaciaires et quelque 30 montagnes s’élevant à plus de 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Impressionnant, non? Pendant la saison estivale, la majeure partie des touristes conglomèrent sur la côte. Pourtant, le nom du pays en langue monténégrine (Crna Gora) signifie « montagne noire », et la région est recouverte par les Alpes dinariques. Comment aurions-nous pu manquer ça? Je souhaitais aussi retourner faire de la randonnée là-bas depuis longtemps. Malheureusement, j’avais peu de souvenirs de ma première visite, une douzaine d’années auparavant, excepté un nom gravé dans ma mémoire – le parc national de Durmitor – et une incroyable balade solitaire en montagne par une journée enveloppée d’un épais brouillard. Bien que le Monténégro ne soit pas une destination touristique typique, j’avais tout de suite su que je reviendrais l’explorer. Ce jour était enfin arrivé.

Sabina et moi avons décidé de louer une voiture et de créer notre propre itinéraire sillonnant le pays. Nous avons été accueillies par des figues fraîches et juteuses ainsi que des grenades pendant gracieusement des arbres en bordure de route, de majestueux palmiers et l’eau turquoise du golfe de Kotor. C’était notre première journée en sol monténégrin, et la route principale nous semblait être un choix sans intérêt. Nous avons donc décidé de faire un détour avant de nous rendre à notre terrain de camping. Les routes étroites, sinueuses et pleines de trous, avec un escarpement abrupt à notre droite, ne semblaient pas prometteuses. Mais l’aventure nous appelait.

La plupart des maisons qui bordaient notre chemin étaient marquées par le temps, voire abandonnées. Au cœur de la montagne, nous avons rencontré un couple de personnes âgées qui se tenaient près de la route avec une vache et un chien. Lorsque nous nous sommes arrêtées près d’eux, la dame nous a demandé si nous pouvions l’amener au village le plus proche, où elle avait un rendez-vous médical et où son fils résidait. Utilisant un outil de traduction en ligne pour communiquer avec elle tout au long du périple, nous en avons profité pour discuter de la vie en milieu montagnard et des conditions météorologiques pendant l’hiver. Avec un seul autobus par jour, une très faible densité de population et l’absence de commerces et de médecins, la vie à cet endroit nous semblait très difficile. Il est navrant – mais pas étonnant – que la plupart des gens aient délaissé une vie idyllique en plein cœur des montagnes pour s’établir dans l’une des villes avoisinantes. De notre côté, nous n’aurions jamais pu vivre de telles expériences et profiter de rencontres fortuites avec des gens du pays si nous n’étions pas sorties des sentiers battus.

Prochain arrêt : Lovćen, connu comme étant le mont Olympe du peuple monténégrin. Nous avons décidé de visiter le pic Jezerski Vrh, où se trouve le mausolée du célèbre poète et philosophe Petar II Petrović Njegoš. Au-delà du mausolée, c’est le panorama qui nous alliciait. Bien que d’épais nuages jetaient un voile sur le décor au début de notre ascension, c’est une vue imprenable – parfaitement dégagée – qui s’offrait à nous dès notre arrivée au sommet. Le spectacle était d’une beauté incomparable, avec des pics rocheux à perte de vue et d’innombrables successions de collines et de montagnes. Notre randonnée fut suivie d’une balade en voiture vers la baie de Kotor, une anse couronnée de montagnes, dont deux massifs s’élevant à plus de 1 000 mètres. Dans cet endroit quasi irréel, il est possible de plonger dans les eaux turquoise et de skier la même journée.

Mais notre coup de cœur fut le parc national de Prokletije. Avant de partir en voyage, j’avais vu une photo des pics colossaux dominant cet endroit et immédiatement su qu’il fallait l’ajouter à notre itinéraire. Bien entendu, nous avons opté pour la route panoramique. Le décor était à couper le souffle, avec des paysages entrecoupés de petits villages bucoliques et des chevaux en pleine rue – mais pas un touriste. L’aube nous avait attrapées alors que nous étions au nombril d’un col de montagne, sans aucune réception pour nos téléphones et le réservoir d’essence pratiquement à sec. La situation pouvait-elle se compliquer encore davantage? Sans aucun doute.

Nous nous étions égarées près de la frontière albanaise. Nous tournions en rond dans la forêt et nous nous étions enlisées dans la boue. J’avais alors regretté de ne pas avoir loué un véhicule tout terrain. Nous étions prêtes à baisser les bras et à passer la nuit en plein cœur de la forêt quand j’aperçus une lueur à l’horizon. Notre soulagement se mêlait à de l’appréhension, car nous étions seules au milieu de nulle part, vulnérables. Et nous n’avions aucune idée de qui se trouvait dans l’autre voiture. Heureusement, c’était une jeune famille désireuse de nous venir en aide. Et vous savez quoi? La première route que nous avions choisie pour rebrousser chemin était la bonne!

Nous avons rejoint Prokletije un jour plus tard que prévu. Au début de notre randonnée dans la chaîne de montagnes, une tempête semblait se profiler à l’horizon. Nous avons tout de même choisi de continuer notre route, puis avons été amplement récompensées. La vue était époustouflante. Alors que d’un côté du sentier s’étendait le Monténégro, de l’autre se trouvait l’Albanie. Cette randonnée éclipsa toutes les autres que j’avais faites auparavant. Nous avons marché pendant environ six heures. Nous nous arrêtions souvent pour admirer le panorama ou ramasser une poignée de bleuets sauvages. C’était le paradis. Et encore là, il n’y avait aucun touriste – seuls quelques chevaux et des gens locaux en train de cueillir, eux aussi, les délicieuses baies. Une fois au sommet de Maja Vajushës, soit à quelque 2 056 mètres, Sabina décida de poursuivre un petit peu son chemin tandis que je choisis de me laisser absorber par le paysage. J’étais complètement seule jusqu’à ce que j’aperçoive une dame sortie de nulle part. Elle se nommait Vera. C’était une bergère albanaise à la recherche de ses moutons. Quelle rencontre incroyable! Je n’aurais pas pu imaginer une plus belle finale pour cette randonnée.

Le jour suivant fut marqué par une longue balade en voiture parsemée de trésors cachés – des endroits sortis d’un conte de fées – et culminant sur le canyon de la Tara, l’un des plus grands en Europe. À certains endroits, les parois de la gorge s’élevaient à quelque 1 300 mètres d’altitude – un spectacle des plus surréels. Finalement, nous avons atteint Durmitor. Ou presque. À Zabijak, le village balkanique le plus haut en altitude, perché à 1 456 mètres et situé près du parc national, notre véhicule fut immobilisé par une double crevaison. Peut-être avions-nous roulé sur un objet très pointu? Impossible de savoir ce qui était arrivé. Heureusement, une famille du coin nous aida à remédier à la situation. Deux heures plus tard, nous étions prêtes à repartir, impatientes de poursuivre notre route sur le col de la montagne Prevoj Sedlo sous un soleil couchant. Mais il était trop tard, et la plus belle lumière du voyage glissa entre nos doigts. Au moins, nous avions toujours le lendemain matin pour y retourner.

Tout au long du voyage, l’altitude ne cessait de nous impressionner, car ce n’est pas tous les jours qu’on peut se balader à plus de 2 000 mètres du niveau de la mer. Durmitor est un massif abritant le deuxième plus haut sommet du pays, Bobotov Kuk, à 2 522 mètres. Malheureusement, nous n’avions pas le temps de gravir les montagnes comme je l’avais fait à ma première visite. Nous en avons toutefois profité pour marcher à notre guise, bien ancrées dans le moment présent. Nous étions pratiquement seules au monde – à l’exception d’un adorable chiot qui vola ma chaussure et me la redonna en échange de caresses. Il y avait des petites huttes à l’horizon, des chèvres broutant paisiblement sous les premiers rayons du soleil ainsi que des tonnes de fleurs illuminant les collines de mille couleurs. Je me sentais comme une petite fille, explorant le monde à l’abri des tracas du quotidien. Pour moi, c’est l’aspect le plus précieux de tout voyage.

Le parc national de Durmitor est renommé pour ses 18 lacs glaciaires, surnommés les « yeux de la montagne ». Une visite au Monténégro ne serait pas complète sans eux. Notre périple tirant à sa fin, nous avons suivi le court sentier vers le populaire Crne Jezero (lac noir), situé aux pieds du mont Međed. Puis nous avons décidé d’explorer Budva, un idyllique village médiéval situé au bord de la mer Adriatique. Il était impensable de quitter le Monténégro sans dire au revoir à la côte en nous offrant une baignade matinale.


Texte et photos : Alina Kondrat