Les plantes comestibles du littoral

Tôt samedi matin, deux inconnues se rencontrent sous la pluie battante pour une longue journée de route, direction Saint-Germain de Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent. Un grand café, un dîner avalé en vitesse dans le stationnement d’une station-service et plusieurs tranches de vie et fous rires plus tard, nous arrivons au site des Jardins de la Mer, qui fait face à un fleuve Saint-Laurent déchaîné. Au moins, dame Nature semble vouloir se calmer un peu, et la fondatrice Claudie Gagné nous accueille en parlant des galettes qu’elle a faites – juste pour nous.

Les jardins de la mer

Nous commençons notre visite par une courte balade aux quatre vents sur les battures (la partie du rivage que la marée descendante laisse à découvert) pour voir les toutes premières pousses de céleri de mer de l’année. Nous nous assoyons ensuite pour discuter, les mains gelées, tandis que Claudie nous offre une tasse de sa Tisane d’hiver – un délicieux mélange d’ortie, d’achillée, de sapin baumier et de thé du Labrador – avec de délicieuses galettes maison, que nous pouvons tartiner à notre guise de son beurre d’églantier.

Nous sommes assises dans la toute petite boutique, située directement là où était autrefois le terrain de camping familial du père de Claudie. Il y a une vingtaine d’années, c’est là qu’elle rencontra François Brouillard, le sympathique cueilleur avec qui nous avons jasé de têtes de violon l’an dernier; une rencontre qui changea la vie de la jeune femme alors âgée de seulement 17 ans. Elle portait un intérêt aux plantes sauvages, mais celles de la mer – pourtant si proches, abondantes et accessibles – faisaient encore partie d’un monde inconnu. Seulement un an après cette initiation, l’entreprise de valorisation du terroir salin nommée les Jardins de la Mer vit le jour. Les débuts de la jeune entreprise furent marqués par l’achat d’un autobus, qui servait d’atelier ambulant pour la jeune femme au style de vie nomade. « Quand je déménageais, je pouvais facilement apporter mon entreprise avec moi », dit-elle. Par la fenêtre, nous pouvons apercevoir le fameux autobus vert, qui sert maintenant de séchoir à plantes, utilisant la simple chaleur du soleil. De l’autre côté se dresse la maison de Claudie, directement sur le terrain où tout a commencé, un terrain qui regorge de trésors cachés.

Plantes maritimes, littorales, salines…

Les plantes retrouvées en bordure du fleuve ont, pour la plupart, un goût marqué par une forte teneur en sodium, car elles ont besoin de sel marin pour végéter. Ce minéral n’a pas été épargné par les nombreuses « chasses aux sorcières » alimentaires des quelques dernières années. Pourtant, il est indispensable à l’organisme; le corps humain en a notamment besoin pour maintenir son équilibre hydrique. Utiliser des plantes salines pour saler naturellement des plats et en rehausser le goût permet de diminuer sa consommation de sel de table, lourdement raffiné. Dans la région de Kamouraska, on retrouve plusieurs variétés intéressantes, dont le persil de mer (ou livèche écossaise) et l’épinard de mer. Ce dernier, plus salé et gras que celui que nous connaissons tous, est particulièrement abondant et recherché. Le céleri de mer, quant à lui, est rarement utilisé comme herbe fraîche en raison de son goût amer; en revanche, il représente un extraordinaire condiment une fois déshydraté, et on le retrouve dans beaucoup d’aromates signés les Jardins de la Mer. Il y a aussi de la salicorne, ou « asperge de mer », cet aliment autrefois inconnu qui fait maintenant fureur dans les marchés. Parmi les autres trésors de la région, on compte la laitue de mer et le plantain maritime. Finalement, il y a un peu de caquillier et de sabline, et beaucoup d’algues comestibles. Ces dernières sont toutefois réservées au compost, car les eaux troubles de la région font que leur qualité n’égale pas celle des algues de la Gaspésie et de la baie de Fundy.

Et puis il y a un fruit. Mais quel fruit! Le fruit de l’églantier, ou rosier sauvage, est une magnifique baie rouge vif. Comme elle reste accrochée au plant tout l’hiver, elle a longtemps représenté un bon aliment de survie pour les Amérindiens, qui profitaient également de son astringence et de sa forte teneur en vitamine C pour combattre les infections. On peut la consommer telle quelle, en purée crue ou cuite, en confiture, en décoction et en jus.

Du littoral à l’assiette

Un temps comme aujourd’hui, désagréable pour les deux filles de la ville que nous sommes, est idéal pour les cueilleurs de plantes maritimes. Un début de saison trop chaud et sec serait plus inquiétant, mentionne Claudie, car les plantes du littoral risqueraient de sécher. En plus de fournir des plantes fraîches à bon nombre de restaurants dans la région, les Jardins de la Mer s’adonne depuis environ dix ans à la transformation de plantes sauvages et salines, ainsi qu’à la fabrication de produits dérivés pratiquement sans sel ajouté. En plus d’avoir recours au compostage, à l’énergie solaire, à des méthodes de récolte respectueuses de l’écosystème et à des emballages recyclables, les Jardins de la Mer milite activement pour sensibiliser la population sur la fragilité des précieuses berges du Saint-Laurent en offrant des ateliers et en apposant des étiquettes « Produit menacé » (en partenariat avec la campagne Coule pas chez nous!) sur certains produits – une initiative visant à renseigner les gens quant aux enjeux liés au développement industriel et pétrolier.

Claudie s’efforce de mettre en valeur les plantes du littoral qui sont les plus abondantes, comme le céleri de mer. En saison, soit de juin à la mi-septembre, elle cherche l’aide d’une poignée de personnes pour assurer la cueillette, la tenue de la boutique, la transformation et l’emballage en vue de répondre à la demande croissante. Bien qu’il s’agisse d’une activité saisonnière, un engagement quasi annuel est requis. Le tout représente un travail énorme, mais la jeune femme a les yeux qui pétillent juste à en parler. Cette passion pour les plantes de la batture porte ses fruits, car les produits des Jardins de la Mer se retrouvent dans certaines des plus grandes tables du Québec, dont les restaurants Toqué! et le Laurie Raphaël. Qui sait, ils se retrouveront peut-être aussi dans votre assiette?


Texte

Ariane Bilodeau

Photos

Sylvie Li

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