Poursuivre la lumière

Imaginez un instant, sortir de votre tente en pleine nuit pour vivre une expérience surréelle, pratiquement impossible à reproduire chez vous : des millions d’étoiles au-dessus de votre tête qui brillent de tout leur feu, et la lune qui s’amuse à créer des ombres aussi définies que celles du soleil en plein jour. Tout est tellement magique, et tellement différent! Un spectacle presque onirique. Ensuite, imaginez une nuit extrêmement venteuse et nuageuse où la visibilité passe de faible à nulle. Bien qu’opposés, ces deux phénomènes peuvent très bien coexister dans la même nuit, et nous l’avons découvert à nos dépens, mon ami Max Muench, talentueux photographe, et moi lors de notre périple au Kirghizstan.

Nous avions décidé d’installer notre tente dans les majestueuses montagnes du Pamir, pour capturer le lever du soleil le lendemain. Et c’est le lac Tulpar, situé au pied du pic Lénine (7 134 m), que nous avions choisi pour la séance photo, l’un des points les plus éloignés de cette région que l’on peut atteindre sans permission spéciale.

C’était grandiose. Certains des sommets s’élevaient tout droit dans la lumière du soleil tandis que d’autres se cachaient complètement sous les nuages. Il semblait impossible de dénombrer les couches de montagnes qui se présentaient à nous. Puis, une fois l’astre lumineux éclipsé derrière elles, un froid extrême s’est installé. Les nuages ont recouvert presque tout le ciel et, en quelques minutes seulement, la température est tombée sous zéro. Les mains gelées, nous avons monté notre tente, puis essayé de nous réchauffer avec une tasse de thé. C’était la première fois que je restais aussi longtemps à une altitude de plus de 3 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette nuit-là, je n’ai pas pu trouver le sommeil. Le manque d’oxygène, la basse température (même si mon sac de couchage était super chaud) et un genre de mal de ventre m’assaillaient sans répit. Ce fut sans contredit la plus longue nuit de toute ma vie. Et, malgré nos espoirs de la veille, nous nous sommes réveillés entourés de neige, la première de l’année, sans même l’ombre d’un lever de soleil en vue. Qui aurait cru?

Mais ce n’était pas toujours ainsi. À Och, la dernière grosse ville que nous avions passée, le mercure affichait environ 30 °C alors que nous parcourions le marché, plein à craquer, à la recherche d’un réchaud de camping. Alors comment a-t-on pu se retrouver tout là-haut avec le pic Lénine enneigé en toile de fond? La réponse est fort simple : nous étions venus au Kirghizstan pour saisir des paysages sauvages à couper le souffle sur photos et vidéos. Ce pays enclavé est populaire auprès des randonneurs, mais ne représente assurément pas une destination touristique prisée. Particulièrement hors saison, lorsque la météo se fait indomptable. C’est dans ces conditions exigeantes que l’on arrive à réellement comprendre à quel point ce pays est vaste, sauvage et inviolé. Avec plus de 88 chaînes de montagnes et vallées sans fin majeures, le Kirghizstan constituait tout simplement le choix parfait.

Au moment de préparer le voyage, nous avions décidé de visiter deux lieux sur lesquels nous voulions nous concentrer : le canyon Fairy Tale, aussi connu sous le nom de Skazka, et la chaîne de montagnes du Pamir, de même que tout ce qui se trouve entre les deux. Après notre atterrissage à Bichkek, nous nous sommes dirigés directement à l’est, vers notre première destination, et nous avons monté notre tente sous un ciel étoilé. Le jour commençait à poindre, alors nous avons décidé de gravir la plus haute montagne à proximité en pensant que ce serait le lieu idéal pour observer et documenter le lever du soleil naissant. De là-haut, nous pouvions voir des formations rocheuses colorées hallucinantes, dont une qui nous rappelait la forme d’un dragon!

Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise lumière, mais dans le processus de planification d’un voyage destiné à la photo, le jour type diffère grandement de celui des vacances. Nous nous mettons en route au petit matin pour immortaliser l’aurore et ensuite la lumière dorée du matin, si les conditions météo le permettent, bien sûr. Durant la journée, lorsque la luminosité se fait beaucoup plus franche et intense, nous en profitons généralement pour changer d’endroit, faire du montage, explorer une nouvelle culture ou, très rarement, nous détendre. Puis, quand la journée s’annonce plutôt maussade, nous préparons du contenu. Et bien vite, les soirées se mettent à ressembler aux matinées, mais à vitesse inverse. Nous avons littéralement le sentiment d’être dans une course à la lumière. C’est que la lumière provoque une évolution des paysages; elle les redessine sans cesse. Parfois, nous devons attendre patiemment, alors qu’à d’autres moments, nous la poursuivons sur des centaines de kilomètres afin d’arriver au moment parfait.

Alors que nous traversions la campagne, nous ne connaissions pas les noms des montagnes près desquelles nous passions. Je me souviens seulement des clairières sur la colline où nous sommes arrivés après le crépuscule. Le réveil était magique dans cet endroit pittoresque qui s’illuminait déjà de rayons jaunes. Il faisait un peu froid, mais le paysage avait l’air si paisible dans cet éclairage doré que j’ai eu l’élan de bondir à l’extérieur de la tente. La brise matinale contrastait avec la chaleur des rayons du soleil sur ma peau, ce qui me donnait l’impression que les vues panoramiques prenaient des airs encore plus spectaculaires. J’adore m’abandonner à ce genre de petits détails. C’est ce qui confère toute la magie aux moments précieux! Les sommets les plus près laissaient voir des strates colorées; je me suis donc amusée à secrètement renommer l’endroit dans ma tête : la montagne arc-en-ciel.

Sur la route, nous n’avons rencontré presque personne, mis à part quelques locaux. Des locaux et des moutons, qui, eux, généraient du trafic à leur retour du pâturage. Nous aurions souhaité faire l’expérience du mode de vie nomade des bergers de la région, mais malheureusement, la plupart avaient déjà migré vers les petits villages environnants. Ce qui ne nous a pas empêchés d’explorer tout ce qui nous était accessible! Toujours prêts, du crépuscule à l’aube, nous avons parcouru près de 1 500 km sur les cols dangereux des montagnes de régions inhabitées. La conduite en elle-même était une aventure sans fin agrémentée des plus beaux tableaux créés par la nature.

En tant que photographes, nous chassons ces instants radieux. Parfois avec succès, d’autres fois moins. Mais le manque de luminosité n’est pas quelque chose de mauvais en soi. Lorsque la lumière tant convoitée n’est pas au rendez-vous, nous nous abandonnons à un univers photographique différent, plus dramatique. S’il n’y a qu’une leçon à retenir de cette quête vers la lumière, c’est que peu importe les conditions sur notre route, nous devons toujours être prêts à affronter l’inattendu, et même à l’accueillir avec gratitude.


Texte : Alina Kondrat

Photos : Alina Kondrat et Max Muench

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