Sommets costariciens

Julius et la chasse au café de spécialité

Bromont, Québec, une matinée d’hiver plutôt douce pour la saison. Installée sur un tabouret haut, j’observe les détails boisés et métalliques du petit laboratoire de torréfaction de Pascal Giroux, tandis qu’il me prépare une tasse de son café de spécialité. Les arômes fruités et l’amertume mélodieuse qui se dégagent de la tasse fumante me procurent un avantgoût de l’échange dans lequel nous nous engageons – celui, passionnant, de l’aventure Julius.

Il y a quelques années, au détour d’un voyage en moto au Costa Rica, Pascal et son groupe d’amis se rendent à la découverte de fincas de café, fermes de café locales. Il rapportera dans ses valises des grains verts d’un café de Tarrazu cultivé à 4 785 pieds d’altitude (près de 1 460 mètres). Torréfiés au Québec, ces grains à la subtilité vertigineuse concrétiseront la naissance du premier micro-lot des cafés Julius. La première gorgée du café de Pascal ne dément pas ces qualificatifs et me fait la promesse d’un voyage immobile de quelques heures sur les hauteurs du Costa Rica.

Territoire particulier, d’une richesse peu égalée, le Costa Rica se distingue par l’une des biodiversités les plus variées de la planète, la densité de ses jungles, la torpeur de son air chargé de pluies torrentielles et ses hauteurs élancées. Sa topographie volcanique est maîtresse de contrastes inédits – entre courbes élancées et plateaux verdoyants se multiplient des villages de quelques dizaines d’habitants, des communautés dont la vie s’organise en osmose avec les ressources et les contraintes naturelles. Dès son premier voyage en ce petit pays d’Amérique centrale, Pascal est charmé par les volumes de ces terres, les synergies qui animent ce territoire et le sens particulier du partage de ses habitants dont il témoigne avec émotion. Il est frappé, également, par la force paisible des plantations de caféiers qui s’épanouissent à des altitudes surprenantes. Ces éminents paysages ont impulsé chez lui le désir d’un pari audacieux – celui de se faire « chasseur de cafés ». De se rendre à la source des productions de café costariciennes, de nouer des liens sincères avec les producteurs locaux, de soutenir les couleurs d’un savoir-faire hors du commun et de naviguer en toute transparence dans la création de cafés d’exception, en portant avec conviction l’exigence d’une pratique éthique et équitable du plant à la tasse.

Déposés de part et d’autre de l’atelier de Pascal, des sacs de grains en toile de jute côtoient des sachets prêts à la distribution, tous témoignant du lien intrinsèque des cafés Julius à ce terroir originel. Alt. 4666, Haciedo Tobosi, Cartago, Tarrazu – Raisin noir, Chocolat, Miel. Alt. 4800, Café Burio, Heridia, Getsemani – Caramel, Cassonade, Citron doux. Gages d’une traçabilité exigeante, ces énoncés proches de coordonnées de géolocalisation laissent en plus transparaître la recette de cafés de qualité qui sont le produit d’éléments naturels spécifiques, l’agrégat de conditions climatiques uniques. Tout se joue dans la densité équilibrée des grains et les arômes colorés qui se déposent sur le palais à la dégustation, à chaque instant de la vie de cette matière première délicate. La terre insuffle au plant puissance et nutriments, la rosée et la fraîcheur baignent les cultures de haute montagne après une averse, la lumière du soleil caresse spécifiquement les cerises et les feuilles d’un versant à l’autre des montagnes.

Ce café est aussi, essentiellement, le produit d’un savoir-faire précieux et exigeant, transmis avec précaution d’une génération de producteurs à l’autre, de soins attentionnés – d’un sens du détail que je retrouve en parcourant les indications de provenance, lorsque mes yeux voyagent d’une finca à l’autre. Pascal raconte que le paysage costaricien est tout particulier en ce qu’il a de profondément humain, en ce qu’il est tissé de récits, de langages, de visages amicaux et bienveillants. Il m’explique que les cafés Julius ne seraient rien sans une rencontre cruciale qui mènera à mille autres – celle de Diego, qui cultive au cœur de la finca Don Beto (Barva, Heredia) des plants de Catuai rouge, variété de café prestigieuse. Lors de ses voyages dans la région de San José, Pascal rend visite à ce producteur de café de quatrième génération et, comme un rituel, l’accompagne sur les hauteurs des plantations, déambule de longues heures durant entre les arbres à flanc de montagnes, le regard tantôt perdu dans le panorama verdoyant, tantôt aiguisé à l’observation des cerises de café.

Avec une attention toute particulière, il participe à l’évaluation de la sucrosité des fruits encore couverts de rosée pour en déterminer la cueillette, assiste à la disposition de milliers de baies rougeâtres fraîchement cueillies pour le séchage. Tandis qu’il épluche entre ses doigts une cerise de café intégralement séchée pour me révéler ses différentes couches, Pascal me confie que le séchage est une étape essentielle. Celle-ci permettra, en exploitant dans une juste mesure les propriétés de chaque strate de cette baie à la topographie complexe, de révéler les subtilités dont elle regorge. Selon la méthode naturelle, les cerises sécheront intactes au soleil de longues semaines durant, enveloppées de leur pulpe et de leur épiderme, qui viendront nourrir intensément le grain vert en leur cœur. Naturel, red honey, yellow honey, black honey, anaérobie. Les différents procédés « honey », variant notamment quant à la durée de séchage et le degré d’exposition des cerises partiellement dépulpées, permettront d’obtenir des saveurs plus sucrées encore. L’évocation de ces notes nous ramène à l’intérieur de la finca, à la phase cérémoniale du cupping (dégustation du café), étape d’évaluation minutieuse du café qui permettra d’en déterminer le profil gustatif et qui, chez Diego, se réalise en famille.

Pour Pascal, chacune de ces étapes est vectrice d’une compréhension aiguisée des réalités de la culture du café, et chacune de ses visites l’opportunité d’étayer les liens respectueux tissés avec les producteurs. De même que le partage d’une tasse de café est un rituel chargé de sens, celui de la production est pour lui le haut lieu d’une symbiose entre intervenants des chaînes de culture et de conditionnement du café. Cette symbiose, justement, est au fondement de ce que l’on désigne plus objectivement comme « café de spécialité ». Avec le soutien de Diego, Pascal a développé des relations avec des personnes engagées dans la production de café depuis plusieurs générations. Au gré des échanges, il a acquis une compréhension de la place centrale de ce produit dans les structures historiques, culturelles, politiques, économiques et sociales du Costa Rica.

Collaborant aujourd’hui avec une dizaine de fermes, Pascal s’est épanoui dans une démarche à contre-courant des dynamiques d’exploitation des ressources bien ancrées qui animent la production et la négociation de cafés de grande consommation, et qui font l’économie – si ce n’est le sacrifice – de la transparence, de la rémunération équitable des producteurs ainsi que du respect de l’intégrité des matières premières. En déplaçant les lignes de collaboration avec les producteurs et en choisissant des procédés de torréfaction doux, Pascal viendra finalement parfaire, depuis son laboratoire bromontois, le façonnage de grains aux profils de saveurs uniques et offrir des cafés polyvalents, adaptés à des méthodes d’infusion variées.

Je retiendrai de cette rencontre touchante que chaque micro-lot du café Julius est une fenêtre ouverte sur un lieu sans pareil, où se trame une histoire précise et sans détour. Je sais déjà que, même au plus fort de l’hiver québécois, ma prochaine tasse du café Julius sera, par ses volutes délicatement corsées, ses notes d’orange et de mûre, sa rondeur et ses perles d’acidité, l’invitation à un survol étourdissant des sommets costariciens.


Texte : Jeanne Prévost

Photos : Kevin Brunelle