La quiétude au cœur de la matière

Mes pas crissent dans la neige sur Van Horne; l’air est froid. C’est un chemin que j’ai fait souvent, suivre le viaduc vers l’ouest, en profiter pour regarder de haut la ligne du chemin de fer et la suivre des yeux, le bruit de la ville en sourdine. Quelques pas après avoir traversé Saint-Urbain, j’arrive à l’atelier de la céramiste Mie Kim avec qui j’ai rendez-vous.

Je traverse un grand espace commun. Puis je cogne doucement à la porte du fond. Mie Kim me fait signe d’entrer, et je me retrouve finalement dans son atelier. Un espace magnifique et chaleureux, baigné de lumière blanche, qui contraste agréablement avec l’air piquant de ce matin glacial. Dans la grande pièce où nous sommes, deux tables de travail sont installées ainsi que sept tours à poterie qui servent pour les cours qui sont donnés sur place. Sur les murs, des étagères remplies de pièces d’argile se succèdent et au fond, sur le bord des fenêtres, les dernières œuvres de Mie Kim – des sculptures aux formes inattendues – sont posées. Nous nous installons tout près pour discuter.

Je sais déjà que Mie Kim est originaire de Séoul, en Corée du Sud, mais elle m’apprend qu’elle a aussi vécu dans un pays anglophone pendant sa vingtaine et qu’elle a choisi le Québec il y a huit ans, parce qu’elle avait envie d’apprendre une nouvelle langue. « Ici, ajoute-t-elle, j’aime le mélange des cultures anglophone et francophone. » Installée dans le Mile-End depuis plus de trois ans, elle m’explique qu’elle a d’abord fait des études en littérature, puis qu’elle a été réalisatrice de cinéma documentaire pour la télévision.

Il y a 13 ans, j’ai commencé à faire de la céramique comme loisir et je m’y consacre entièrement depuis
4 ans, poursuit-elle. J’aimais beaucoup mon travail, mais
c’était aussi très exigeant et c’était difficile de trouver un
équilibre entre le travail et ma vie personnelle. Alors qu’en
documentaire, je travaillais sur des projets longs, en céramique, les résultats sont directs, plus tangibles.

Et les résultats sont là, bien présents dans l’atelier, sous la forme de bols foncés à la glaçure légèrement chatoyante et de sculptures aux formats variés. Ces dernières ont des formes tout en courbes et en plis, comme si l’artiste avait interrompu le mouvement de la matière et l’avait figé. « La direction de mon travail a beaucoup changé dans la dernière année. Maintenant, je travaille sur des sculptures et des pièces uniques et je ne fais que de petites éditions de vaisselle, explique-t-elle. La conception d'objets fonctionnels s'accompagne de certaines limitations quant à la forme, la texture et la glaçure. Je prends plaisir à expérimenter plus librement la forme et la matière dans mon travail de sculpture.

Il y a néanmoins une approche similaire qui traverse l’ensemble de ses créations et qui se sent dans la façon dont la matière est traitée, façonnée et mise à l’avant-plan, avec tout ce qu’elle comporte de particularités et de textures.

Je travaille en partie avec de l’argile locale, récoltée dans le lit des rivières, et avec des pierres récoltées dans la nature. C’est ma façon d’essayer de rester connectée à la source de mon travail.

Cette façon de faire peu commune exige d’abord de trouver un endroit propice pour la récolte, puis de demander les permissions nécessaires. S’en suit alors un processus intense pour préparer l’argile que Mie doit sécher, écraser, tamiser, hydrater, pétrir et tester. Ce processus très long en vaut néanmoins la peine. « L’argile et les minéraux commerciaux ont une composition très stable, ce qui nous permet d’obtenir des résultats plus prévisibles. Avec la matière locale, on entre dans le monde de l’expérimentation et de la volatilité. Il faut embrasser ce côté imparfait et imprévisible, explique l’artiste. Je me rends compte que mon attitude dans mon travail change quand j’utilise ce matériau. Je travaille de façon plus consciente, en pensant à la matière et à son histoire. »

De l’argile récoltée à Eastman a ainsi trouvé sa place dans la glaçure qui recouvre certaines sculptures récentes de l’artiste, dont une inspirée par le buncheong, une technique de céramique coréenne du XIVe siècle, qui a été exposée à Montréal à la fin de 2021. Cette pièce de forme ouverte, met en valeur les différentes teintes de l’argile récoltée en Estrie, dans une composition qui va du beige clair au brun chaud.

« J’aime travailler sur une pièce longtemps, jusqu’à en être satisfaite », ajoute Mie Kim, précisant qu’il lui faut parfois plusieurs semaines pour y arriver

Je ne sais pas comment définir le style de mon travail, mais je suis plutôt intéressée par l’état dans lequel les gens qui le voient sont. Quand je travaille, je pense souvent à l’état d’esprit vers lequel ils se transportent lorsqu’ils touchent ou regardent l’objet. J’essaie de faire en sorte que cette énergie de quiétude soit incarnée quelque part dans mon travail.

Cette relation entre la création et les gens qui la côtoient prend également une autre dimension dans la pratique de la céramiste, qui ouvre chaque semaine son atelier pour donner des cours. « Quand j’ai commencé, la céramique était une façon pour moi de pratiquer la quiétude et de reconnecter avec moi-même en décrochant du chaos de ma vie professionnelle. Alors ça me fait plaisir maintenant d’offrir cet espace méditatif, thérapeutique, à la communauté », conclut Mie Kim.

Dehors, c’est toujours l’hiver. Il fait toujours froid. Mais j’emporte avec moi un peu de la chaleur que j’ai trouvée dans l’atelier de Mie Kim.


TEXTE : CATHERINE OUELLET-CUMMINGS

PHOTOS : SYLVIE LI